« La révolution du peuple. Le pouvoir au peuple. Que l’armée rentre dans ses casernes et que les janjawids soient dissous ! » A l’aube du 25 octobre 2021, des centaines de milliers de manifestants s’époumonaient en chœur, déferlant à travers Khartoum, la capitale du Soudan, en réaction au coup d’Etat mené main dans la main par le général Abdel Fattah Al-Bourhane et son adjoint de l’époque Mohammed Hamdan Daglo, alias « Hemetti ».
Dix-huit mois avant l’irruption d’une guerre fratricide entre les deux armées du pays, la rue soudanaise avait déjà perçu le danger. Comme un présage, la foule exigeait par ces slogans le retrait du chef des forces armées du Soudan du pouvoir et le démantèlement des Forces de soutien rapide du général « Hemetti », issues des milices janjawids qui avaient participé au génocide du Darfour au début des années 2000.
Au cours de la nuit, la junte avait fait arrêter les membres du gouvernement civil dirigé par le premier ministre Abdallah Hamdok, mettant un coup d’arrêt à la période de transition démocratique amorcée deux ans plus tôt, en 2019, alors qu’un soulèvement populaire massif avait entraîné la chute du régime militaire et islamiste d’Omar Al-Bachir après trois décennies de règne.
Quelques heures à peine après l’annonce du putsch militaire, les rues se hérissaient de barricades, la grève générale était décrétée dans les usines, alors que les appels à la désobéissance civile depuis les minarets des mosquées se multipliaient. Le pays allait rester ingouvernable pendant de long mois, face à un mouvement de contestation mené par des comités de résistance qui avaient essaimé dans chaque quartier.
En évinçant les civils, les deux généraux les plus puissants du pays se retrouvaient dans un face-à-face dangereux. Mis en échec par la rue, sans assise populaire pour gouverner, les généraux putschistes étaient contraints de retourner à la table des négociations avec les civils. Mais les discussions parrainées par les Nations unies ont fait long feu. Le 15 avril 2023, les généraux ont choisi la guerre et le pays s’est embrasé.
Dès le départ, le conflit a dépassé la simple rivalité entre deux généraux. La révolution avait rebattu les cartes politiques. Le peuple appelait pacifiquement à la fondation d’un « nouveau Soudan », prônant une identité soudanaise multiple, soucieuse des minorités ethniques et religieuses, et une gouvernance décentralisée qui garantirait une meilleure répartition des richesses, longtemps accaparées par les militaires et les élites du centre du pays.