Dix mille pas et plus. C’est le tennisman Novak Djokovic, qui un jour, au tournoi de Wimbledon, a « réussi à [se] convaincre que les spectateurs criaient [son] nom, alors qu’ils encourageaient Federer ». C’est aussi le footballeur Christian Bassila qui décrit sa vision flash de ce que va faire l’attaquant adverse. « C’est une image… je le vois faire, je sais quelle courbe va avoir le ballon, comment il va se retourner, je visualise tout ça… j’ai la photo de lui faisant ce contrôle-là, je pourrais presque le dessiner », raconte-t-il. C’est encore la joueuse de badminton Caren Hückstädt qui explique comment elle perçoit ses prochains coups comme en réalité augmentée. « Quand je frappe [le volant], c’est à ce moment-là que j’imagine le lieu où je dois frapper… C’est comme si cette zone-là attirait le volant. Si tu es très bon, tu as tout le temps ça », assure-t-elle.
Pour comprendre les secrets des exceptionnelles capacités de concentration des champions, Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherches en neurosciences cognitives au sein du Centre de recherche en neurosciences de Lyon, a épluché les publications scientifiques mais aussi les déclarations des athlètes dans les médias. Parallèlement, cet infatigable explorateur de l’attention, passionné de sport et notamment de tennis, a mené des entretiens approfondis avec trente-quatre athlètes de haut niveau, dans des disciplines très variées : snowboard, tennis, tennis fauteuil, escalade, apnée, gymnastique… Il en résulte un livre passionnant, Dans le cerveau des champions (Odile Jacob, 224 pages, 19,90 euros), sous forme de dialogue socratique. La lecture, très abordable, est d’autant plus réjouissante que Jean-Philippe Lachaux réussit à nous convaincre que, en prenant du temps pour s’entraîner, tout un chacun peut transformer son cerveau et le rendre plus attentif.
Pour schématiser, il a identifié sept « superpouvoirs » présents chez les grands du sport : « Un champion sait acquérir une formidable maîtrise technique, développer des capacités athlétiques hors normes, lire le jeu de façon exceptionnelle, deviner les intentions de ses adversaires, ressentir son environnement comme une partie de lui-même, se laisser guider par des visions et manipuler une forme d’énergie invisible », liste-t-il.
Ainsi, « avoir la maîtrise de son attention, c’est avoir la maîtrise de ce qui occupe son esprit », résume le neuroscientifique. Or, poursuit-il, l’attention est sans cesse bousculée par deux forces. Il y a d’une part celle qui dirige vers ce qui est saillant : cela correspond au système dit « préattentif », « qui oriente de façon réflexe l’attention vers tout ce qui est brillant, coloré, sonore… ». D’autre part, l’attention peut être attirée vers ce qui procure une gratification immédiate, en lien avec le système de récompense, qui carbure pour beaucoup à la dopamine.