Le masque nô ou l’ambassadeur de l’inconnu

A quoi sourit-elle, la jeune Ko-omote ? Elle vient du Japon du début du XVe siècle, et elle a la fraîcheur d’une jeune fille d’aujourd’hui et de tous les temps, avec sa malice et la rondeur encore enfantine de ses traits. Son visage (omote, en japonais) est en bois, mais la chair semble vivante, palpitante. En elle s’incarne l’art du masque nô, qui n’a cessé de fasciner par-delà les temps. Alors que le masque grec de la grande époque tragique a été irrémédiablement perdu, les masques nô ont été dès l’origine gardés et conservés comme des trésors par les familles perpétuant la tradition de ce théâtre de père en fils.

L’objet dès lors s’est inscrit comme un secret théâtral toujours à creuser et à redécouvrir, notamment chez les grands rénovateurs du théâtre du début du XXe siècle. Bertolt Brecht avait un masque nô sur son bureau. Pour Paul Claudel, diplomate au Japon dans les années 1920, la découverte du nô sera une révélation, qu’il résumera avec la fulgurance du poète : « Le drame, c’est quelque chose qui arrive ; le nô, c’est quelqu’un qui arrive. » Quelqu’un, donc un visage, donc un masque – le même mot, omote, servant à désigner les deux. « Dieu, héros, ermite, fantôme, démon, le Shité [personnage principal du drame] est toujours l’Ambassadeur de l’Inconnu et à ce titre il porte un masque » (Paul Claudel, Mes idées sur le théâtre, Gallimard, 1966).

« Le masque nô, le vrai, celui qui a été fabriqué entre le XIVe et le XVIIe siècle par des sculpteurs extraordinaires, c’est comme un stradivarius pour un musicien », pose d’emblée Erhard Stiefel, au milieu de tous les visages qui peuplent son atelier de la Cartoucherie de Vincennes (Paris 12e). Unanimement considéré comme un des plus grands créateurs contemporains de masques, Erhard Stiefel n’a pas seulement accompagné le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine dans sa recherche autour de l’objet emblématique du théâtre. Il s’est intéressé depuis longtemps au masque nô, et a été un des très rares occidentaux à pouvoir contempler de près les modèles originaux, les honmen des grandes familles qui les détiennent toujours.

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