Le bureau de Sonam Sherpa occupe le dernier étage d’un immeuble ruche de Katmandou abritant, entre autres, deux compagnies d’aviation, Tara Air et Yeti Airlines, et l’une des plus anciennes agences de trekking du Népal, Thamserku Trekking – autant d’entreprises que le patron a créées avec ses deux frères. La secrétaire fait patienter. La voix de Sonam dans l’interphone invite à entrer. Les boiseries sobres, la grande fresque d’une caravane de yaks, les piolets et les crampons anciens, dans des cadres à l’éclairage soigné, affichent la réussite de l’entrepreneur qui a encore ouvert récemment une chaîne de lodges haut de gamme et investi dans le développement de minicentrales hydroélectriques. « Le Népal est le deuxième pays au monde pour la ressource en eau, dit-il, nous devons tripler la production pour atteindre 1 gigawatt. »
Sonam a 64 ans. Son histoire commence à Chamonix (Haute-Savoie), où l’enfant d’un village du pays sherpa, trop curieux pour rester porteur, a vécu au début des années 1980, travaillant dans des refuges et des magasins de sport. Il montre une photo de lui au sommet du mont Blanc, en jean et veste prêtée par un ami : « A l’époque, je n’avais pas de quoi m’offrir le matériel. » Lorsqu’il rentre au pays pour créer son agence de trekking, le Népal est à la mode, et Sonam a dans son carnet d’adresses tous les guides qui comptent sur l’axe Chamonix-Katmandou, dont l’incontournable Claude Jaccoux, premier guide français à s’aventurer au Népal. Son frère Ang Tshering Sherpa (1964-2019), entrepreneur-né, le rejoint. Thamserku Trekking prospère, devient la plus grosse agence de trekking du pays et se diversifie – hôtels, compagnies d’aviation…
Ce que Sonam Sherpa a envie de raconter, ce soir-là, à Katmandou, c’est une histoire plus personnelle. « J’ai été blessé lors du tremblement de terre de 2015. Je suis resté immobilisé six mois, une vertèbre déplacée me faisait souffrir en permanence. Pour m’en sortir, j’ai décidé de revenir à la montagne. » Sonam se décrit alors comme un Sherpa qui n’a pas marché depuis trente ans. Il part pour l’Afrique et s’attaque au Kilimandjaro, l’un des Seven Summits, les points culminants sur chacun des sept continents. « L’ascension a été une douleur à chaque pas mais, une fois arrivé au sommet, d’un seul coup, je me suis senti bien. La souffrance avait disparu ! » Il poursuit sa convalescence au milieu de la clientèle aisée désormais prise en charge dans le monde entier par les nouvelles agences népalaises.