Quand la série Friends débarque sur le petit écran, en 1994, elle consacre l’image d’une bande d’amis mixte, où femmes et hommes partagent rires, peines de cœur et canapés, sans que le genre fasse obstacle à leurs liens d’amitié.
Est-ce si simple dans la vie réelle ? Cette représentation, devenue pourtant familière, ne va pas de soi. L’amitié entre les femmes et les hommes reste une construction fragile et assez récente. En France, le tournant remonte aux années 1970.
Filles et garçons sont, jusqu’au milieu du XX? siècle, élevés dans des mondes physiquement séparés. Des règlements imposent des claires-voies pour diviser les cours d’écoles mixtes et, jusque dans les années 1930, la mixité reste strictement encadrée : les élèves sont rassemblés sans être mêlés, dans une organisation dite de « gémination » ou de « coéducation ».
L’enseignement lui-même repose sur cette dissociation : aux garçons, une instruction tournée vers l’espace public, la citoyenneté, la rationalité. Aux filles, un savoir restreint, adapté au rôle d’épouse et de mère, gardienne du temple familial. « Ne pas se voir et ne pas se toucher, telles étaient les conditions d’une éducation saine », rappelle l’historienne Anne Vincent-Buffault, autrice de l’ouvrage Une histoire de l’amitié (Bayard, 2010).
Cette séparation vise à maintenir des rôles sexués clairs. L’école, les loisirs, la famille ou encore la religion assignent aux individus des sphères distinctes et, avec elles, des cercles relationnels homogènes : salles différentes pour la prière, écoles de filles et de garçons, jouets rangés par genre… Cette tendance à tisser des liens avec des semblables – ici, du même sexe – a un nom : l’homophilie de genre. « L’adage “qui se ressemble, s’assemble” illustre bien la tendance des individus à nouer des liens avec des personnes partageant des caractéristiques similaires, comme le genre, l’âge ou la classe sociale », résume la sociologue Béatrice Milard.