Pour l’historien néerlandais Johan Huizinga (1872-1945), auteur de Homo ludens (1938), la façon dont les hommes jouent est le reflet des rapports sociaux qu’ils entretiennent. Car le jeu est loin d’être un simple divertissement. Il remplit des fonctions sociales, politiques et économiques majeures. Nous passons énormément de temps devant les écrans, en grande partie pour y jouer ou pour y assister au spectacle du jeu.
L’accroissement de ce temps de « loisir » a été rendu possible, en France, parce que la productivité du travail y a été multipliée par seize entre 1920 et 2020. Ce spectaculaire accroissement a permis de multiplier par huit le produit intérieur brut (PIB) par habitant, mais il a aussi permis de diviser par deux le temps de travail annuel. Une personne travaillant toute sa vie dans les conditions actuelles de longévité, de durée de cotisation et d’horaire de travail ne passerait que 14 % de sa vie éveillée au travail marchand.
Ceci a ouvert la voie à une société de loisirs, où les jeux prennent une importance croissante. Avec la télévision et surtout le smartphone, ces jeux se déroulent de plus en plus sur des écrans. Sept Français sur dix jouent à des jeux vidéo sur Internet. Dans son essai Les Jeux et les Hommes (Gallimard, 1958), l’écrivain et sociologue Roger Caillois classe les activités ludiques humaines en plusieurs catégories en fonction du plaisir qu’elles procurent.
La plupart des jeux vidéo et les compétitions sportives relèvent de l’agôn (la compétition, le combat, la rivalité sur une qualité). Les jeux d’argents, les paris sportifs, dont le chiffre d’affaires explose, relèvent du plaisir de l’aléa (le hasard), à l’opposé de l’agôn dès lors que le joueur n’a aucune prise pour gagner ou perdre. L’usage des réseaux est une autre sorte de jeu relevant de la mimicry (l’illusion, le mimétisme, le simulacre qui renvoie au plaisir d’être un autre). Le spectacle est omniprésent sur le Web, il relève aussi de la mimicry par les identifications qu’il provoque.
Le spectacle du sport occupe ici une place prépondérante : là où il n’y a que quelques dizaines de milliers de personnes dans un stade, il y a 1,5 milliard de téléspectateurs pour la finale de la Coupe du monde de football, sans compter la vision ex post des innombrables vidéos de l’événement sur les réseaux sociaux. Cohabitent donc deux publics différents. Ceux qui assistent physiquement à la compétition, ou au concert, et dont le plaisir vient autant de vibrer avec la foule que du spectacle du sport lui-même. Ceux qui s’adonnent au plaisir de la vision du jeu, désormais bien supérieur sur les écrans que dans le monde réel, grâce aux gros plans, aux ralentis, aux retours en arrière.