Béryl : comment le réchauffement climatique alimente les ouragans

L’ouragan est hors-norme, à plus d’un titre. Baptisé Béryl, il a ravagé les Caraïbes cette semaine – faisant 7 morts au total –, causé de nombreux dégâts matériels au Mexique, avant de toucher terre au Texas, lundi 8 juillet. S’il a perdu en intensité, les autorités américaines n’en sont pas moins en alerte et ont évacué les zones côtières. Quant aux services météorologiques, ils s’alarment de son intensité pour un début juillet.

« Avec un système aussi puissant, aussi tôt dans la saison cyclonique, cela laisse présager une saison très active pour 2024 », a indiqué à l’Agence France-Presse Anne-Claire Fontan, responsable scientifique chargée de ces phénomènes à l’Organisation météorologique mondiale, qui y voit aussi « une illustration de ce à quoi on peut s’attendre dans le futur », dans un monde réchauffé par les émissions de gaz à effet de serre.

Marque du caractère exceptionnel de Béryl, il lui a fallu moins de vingt-quatre heures pour passer de simple dépression tropicale à un cyclone de catégorie 1, le 28 juin. Un jour plus tard, il s’élevait à la catégorie 4 sur une échelle de 5. En comparaison, il faut fréquemment compter plusieurs jours pour qu’un système cyclonique se forme puis gagne en puissance.

Il a même finalement atteint la catégorie 5 avec des vents à 270 km/h au maximum de son activité, un événement rare. « En moyenne, le bassin nord atlantique enregistre chaque année trois ouragans majeurs [NDLR : de catégorie 3, 4 ou 5], explique Emmanuel Cloppet, directeur de Météo France Antilles. Quant à ceux de catégorie 5, on en mesure moins d’un par an ». Surtout, jamais un ouragan de niveau 4 puis 5 n’avait été enregistré aussi tôt dans une saison qui s’étend de juin à novembre. Le pic d’activité se situe généralement de mi-août à fin septembre.

S’il est exceptionnel, Béryl n’est pour autant pas une surprise pour les météorologues, qui s’attendaient à une activité cyclonique intense, au moment où les océans atteignent des températures records. Pour comprendre, il faut s’arrêter sur le mécanisme de formation des cyclones tropicaux. La dénomination varie selon la zone – ouragans dans l’Atlantique Nord, typhons dans l’océan Pacifique, cyclones dans l’océan Indien – mais il s’agit bien du même phénomène.

Comme premier ingrédient, il faut un océan suffisamment chaud donc, c’est-à-dire dont les températures atteignent 26 °C dans les 60 premiers mètres de profondeur. Deuxième élément : un départ marqué à une certaine distance de la ligne équatoriale. C’est en effet la force de Coriolis – causée par la rotation de la Terre – qui entraînera la rotation des nuages. Or celle-ci est inexistante à l’équateur.

Il faut ensuite un déclencheur : l’existence d’une dépression, très chargée en humidité, qui va former un amas nuageux. Celle-ci va « pomper » la chaleur de l’océan, conduisant à la formation de nuage et l’accumulation d’énergie. Pour cela, ajoutez une condition essentielle : un faible « cisaillement du vent ». À gros traits, les vents doivent souffler dans la même direction et à la même vitesse aux différentes altitudes. Un peu comme dans une cheminée, pour que le cyclone « tire » l’air chaud, il faut que la colonne soit stable.

« En raison de la force de Coriolis, les amas nuageux vont se mettre en rotation autour d’un centre dépressionnaire et, au-delà d’une certaine vitesse des vents, le système sera qualifié de cyclone », explique Françoise Vimeux, climatologue à l’Institut de recherche pour le développement. Tant que ces conditions se maintiennent, le cyclone va s’auto-entretenir, s’intensifier et poursuivre sa route.

Outre les fortes chaleurs dans les océans, l’arrivée du phénomène météorologique naturel La Niña permettait également d’anticiper une saison particulière. Ce refroidissement des températures du Pacifique oriental favorise en effet des situations de faibles cisaillements et donc des ouragans dans l’Atlantique nord.

Mécaniquement, l’intensité des cyclones est également dopée par le réchauffement climatique. Un océan plus chaud est en mesure de fournir davantage d’énergie. Un air plus chaud est aussi en mesure de contenir davantage d’humidité (7 % supplémentaires pour chaque degré en plus), les nuages davantage chargés entraînant davantage de précipitations.

Si les scientifiques estiment que le nombre total de cyclones devrait rester stable, la proportion de cyclones de catégorie 4 et 5 devrait être plus importante à l’avenir, a établi le dernier rapport du Giec, une observation faite avec un niveau de confiance « élevé ». La quantité de pluie et les vitesses de vents maximales associés à ces cyclones intenses devraient aussi augmenter.

En conséquence, les experts s’attendent à des risques accrus pour les populations. « Lors des ouragans, la plupart des pertes humaines sont dans la majorité des cas liées aux inondations », rappelle Françoise Vimeux. Pluies diluviennes, crues, glissements de terrains mais aussi les ondes de tempête sont en cause.

Ces dernières désignent les submersions côtières causées par le rehaussement des vagues. Les vents puissants et la diminution de la pression atmosphérique entraînent en effet des augmentations du niveau de la mer lors du cyclone, qui viennent s’ajouter à l’augmentation générale du niveau des eaux, provoqué par le réchauffement climatique…

Pour autant, de nombreux mécanismes restent encore mal compris par les experts. « La recherche a beaucoup progressé ces dix dernières années mais l’étude des ouragans reste une science jeune », explique Françoise Vimeux. Les satellites ne permettent de récolter des données que depuis une quarantaine d’années.

Sur terre, les conditions extrêmes mettent à l’épreuve les instruments de mesure. Sans compter que ces phénomènes restent rares. Or la climatologie se base sur les statistiques passées pour modéliser les évolutions à venir…

Parmi les questions ouvertes figure ainsi l’évolution des cas d’« intensification rapide », dont Béryl a été une illustration. Certains travaux suggèrent une augmentation de leur fréquence avec le réchauffement. Une étude publiée dans Nature en octobre 2023 estime qu’il est désormais deux fois plus probable que les ouragans passent de catégorie 1 à au moins 3 en l’espace de 24 heures. Mais cela doit encore être confirmé par d’autres travaux, explique Françoise Vimeux. « Nous connaissons les mécanismes probables qui favorisent l’intensification rapide mais il subsiste de nombreuses incertitudes », note la spécialiste.

Ce sujet est crucial pour préparer l’avenir, mais aussi améliorer la gestion de crise en temps réel. Les cas d’intensification rapide sont ceux qui peuvent se révéler les plus dangereux. En novembre 2023, l’ouragan Otis avait fait 21 morts au Mexique. En l’espace d’une nuit, il était passé de simple tempête tropicale à ouragan de catégorie 5.

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