Les bartenders ont toujours aimé jouer avec les produits laitiers. Le nombre de recettes de cocktails creamy – à base de lait, de crème ou de yaourt – répertoriées par le Difford’s Guide en témoigne. Dès le XVIIIe siècle, le milk punch consacre cette union maléfique du brandy et du lait, tandis que la Prohibition voit se développer les mélanges alcoolisés à base de crème, sans doute pour mieux faire passer le goût des gnôles de contrebande.
Ces desserts liquides pour adultes connaissent un regain d’intérêt dans les années 1970, notamment le brandy alexander (cognac, crème de cacao, crème fraîche), qualifié ironiquement de « milkshake » par John Lennon, qui en découvre la perfidie durant son « lost weekend », période très alcoolisée pendant laquelle il vit séparé de Yoko Ono.
Pour faire le plein d’onctuosité aujourd’hui, Mesures (Paris 3e) propose un kuro to shiro, mêlant saké, rhum et caramel au lait de noix, lassi poire et poivre sansho, orgeat de noix, citron. Et Danico (Paris 2e), le máncora : rhum, distillat d’orge grillé, maracuja, mélange d’épices, eau de coco, citron vert et lait.
De son côté, Bar nouveau (Paris 3e) a ressuscité le ramos gin-fizz, un classique devenu rare. A sa création, en 1888, à La Nouvelle-Orléans, plusieurs shaker boys devaient se succéder afin que la mousse prenne forme et dépasse le buvant du verre de quelques centimètres, pour faire son petit effet.
Dans la version proposée ici, vodka, liqueur St-Germain et une pointe de whisky tourbé remplacent le gin, deux bonnes cuillerées de yaourt vanille sont ajoutées à la crème liquide, au blanc d’œuf et au jus de citron. Le tout est passé trente secondes au blender, rafraîchi au freezer deux minutes, puis topé dans le verre avec de l’eau gazeuse pour faire émerger la montagne de mousse, sur laquelle repose une fleur de jasmin comestible. L’ultime plaisir régressif : se faire une moustache en le sirotant et écumer le fond du verre à l’aide de la petite cuillère en nacre dressée avec le cocktail.