Histoire d’une notion. La question sociale va-t-elle faire tanguer le fragile édifice gouvernemental ? Lancée par l’intersyndicale, la nouvelle journée de mobilisation du jeudi 2 octobre fera défiler les opposants aux mesures budgétaires proposées par le précédent gouvernement. Des manifestations sont prévues sur tout le territoire, tout comme des recours au « blocage », un mode opératoire qui, depuis le 10 septembre et le lancement du mouvement citoyen Bloquons tout, a surgi sur les réseaux sociaux et vient élargir le répertoire de la contestation.
Le mot d’ordre a fait florès certes en raison de la viralité des boucles de conversation numériques, mais aussi pour des raisons stratégiques. Dans les sociétés où dominent non plus les stocks mais les flux, où se développent moins les bureaux que les réseaux et le routage, le mode d’action radicale devient potentiellement celui du blocage – tandis qu’au temps où dominaient les unités de production, le mouvement ouvrier privilégiait le plus souvent la grève et la manifestation, ou même l’occupation. Ce fut le cas lors des grandes grèves de mai-juin 1936, qui poussèrent le gouvernement du Front populaire à voter de grandes lois sociales.
Après les années 1970, le travail s’est en partie dématérialisé. C’est pourquoi les occupations ? comme celle du Théâtre de l’Odéon en mai 1968 ? se sont peu à peu déplacées du dedans (usines, universités ou théâtres) au dehors (places, parcs et jardins). Le « mouvement des places » des années 2010, dans les parcs Zuccotti à New York et Gezi à Istanbul, sur les places Tahrir au Caire, Puerta del Sol à Madrid, Maïdan à Kiev, Syntagma à Athènes et celle de la République à Paris lors du mouvement Nuit debout (2016), s’est déployé par la volonté des manifestants de créer un « lieu pour le commun » dans une société atomisée où les individus sont dispersés, relève le philosophe Jacques Rancière dans Les Trente inglorieuses (La Fabrique, 2022).