Sans lui, la nappe blanche n’aurait jamais survécu. Au XIXe?siècle, dans un monde où la nappe en lin damassé vaut autant que l’argenterie ou la porcelaine, il est impensable de laisser des taches compromettre la parfaite mise en scène d’un repas. Le porte-couteau est donc de service et, par sa fonction même, il est signe de raffinement. A lui de préserver l’aspect immaculé du linge, symbole de respectabilité bourgeoise, des traces de lame pleines de sauce.
Les grandes maisons le vendent en général par paire, à aligner légèrement à droite devant l’assiette, prêt à accueillir le couvert seulement après usage –?le couteau n’est jamais posé dessus lors du dressage. Le petit objet de quelques centimètres de long devient ainsi le marqueur d’un statut social, avant de glisser dans l’oubli, rendu superflu par les nappes imprimées antitache et les sets individuels. Et, dans les repas formels, on préfère changer de nappe plutôt que de multiplier les accessoires. Puis le porte-couteau réapparaît.
« Aujourd’hui, les professionnels de la scénographie de table l’utilisent systématiquement pour leurs événements », note Solène Brard, céramiste et fondatrice de Maison Mic Mac. Car le porte-couteau a un charme fou, celui du détail qui change tout. Elle en produit plusieurs collections par an pour La Romaine Editions, s’amuse avec leurs couleurs, les dessine en forme « de fleurs, de coraux ou de végétaux sortis d’un bassin à grenouilles. Le porte-couteau donne un thème à une table, l’habille, c’est un élément différenciant ». Elle apprécie sa fonction « deux en un ».
Utilitaire, il peut aussi servir de repose-baguettes ou de repose-cuillère en cuisine. Figuratif, il est autorisé à sortir de table. « Comme une petite assiette peut servir de vide-poche, le porte-couteau peut aussi se poser sur une table de nuit », suggère la céramiste. Ou sur une étagère, façon petite sculpture grigri. Signé d’un logo, il devient accessoire à offrir ou à collectionner, au même titre qu’une bougie parfumée ou qu’un porte-clés. Même la mode commence à s’en emparer. Solène Brard vient de créer pour A.P.C. quelques petites pièces de table reprenant les codes de la maison parisienne.