Il y a des scènes qui nous font immédiatement aimer un livre. Dans Tambora, le deuxième roman d’Hélène Laurain, celle où l’autrice enceinte s’imagine dévorant son médecin (qui, à chaque consultation, au moment de la pesée, commente : « Oh ben dites donc ») est de celles- là. On y voit la jeune femme, soudain devenue géante, engloutir le gynécologue (« Il se débat sauterelle, je le gobe pop-corn ») et déambuler ensuite dans le cabinet, rassasiée et joyeuse, démolissant la balance à coups de stérilet, griffonnant des croquis obscènes sur les ordonnances, s’auto-auscultant pour constater, satisfaite : « Nickel, 100 % parfait. »
La séquence est réjouissante non seulement parce qu’elle est très drôle, mais aussi parce qu’elle provoque un trouble. La logique du conte s’inverse (c’est le Petit Chaperon rouge qui avale le Grand Méchant Loup), et dans ce revirement se révèlent les humiliations et violences que subissent tant de femmes dont les corps (en particulier pendant la grossesse, mais pas seulement) sont jugés, pénétrés, fouillés, soupesés… La dimension grotesque de la scène dévoile en réalité l’aberration initiale, qui donne à la médecine des pouvoirs extraordinaires sur les corps des patientes – y compris celui de produire à leur sujet le seul discours légitime.