Le retour au pouvoir, au Japon, de l’aile la plus conservatrice du Parti libéral-démocrate (PLD) n’augure rien d’apaisant pour l’Archipel comme pour l’Asie de l’Est. L’élection de Sanae Takaichi, le 4 octobre, à la présidence de la formation au pouvoir presque sans interruption depuis 1955 lui ouvre en effet la voie pour devenir la première femme première ministre du pays. Dénuée de toute expérience diplomatique, elle va hériter d’un Archipel à l’économie souffreteuse, pris dans les tensions sino-américaines, confronté au rapprochement entre la Russie et la Corée du Nord, et jusque-là soucieux de ménager Pékin, son premier partenaire commercial.
Fervente nationaliste, Mme Takaichi est attachée à « la force et [à] la fierté du Japon » et menace de durcir les conditions d’accueil des étrangers en dépit de l’hiver démographique dans lequel s’enfonce son pays. Hostile à toute idée de repentance de l’Archipel pour son passé impérialiste, celle qui se veut l’héritière du très conservateur Shinzo Abe, son mentor, premier ministre de 2012 à 2020, plaide pour la suppression des références pacifistes de la Constitution.
Mme Takaichi fréquente assidûment Yasukuni, sanctuaire controversé où sont honorés des criminels de guerre et qui reste considéré comme un symbole du militarisme nippon par la Chine et la Corée du Sud. Toute visite à ce lieu de premiers ministres en exercice – ce qu’elle souhaite faire – ne fait qu’exacerber les tensions.
La native de Nara est aussi très attachée à Taïwan. En visite sur l’île, en avril, elle a rencontré le président, Lai Ching-te, et plaidé pour un renforcement des relations économiques. Fidèle au positionnement historique du PLD, la nouvelle dirigeante considère enfin l’alliance du Japon avec les Etats-Unis comme la pierre angulaire des relations internationales et de la politique sécuritaire de Tokyo. L’administration Trump fera bon accueil à son souhait d’augmenter drastiquement le budget de la défense, mais pas à l’idée de renégocier l’accord commercial conclu en juillet.
Sans surprise, la Chine a réagi avec défiance à élection de Mme Takaichi ; elle a appelé le Japon à « honorer ses engagements politiques sur des questions importantes telles que l’histoire et la question de Taïwan », et à « suivre une politique positive et rationnelle envers la Chine ». La réaction de la Corée du Sud est restée modérée. Mais la position du président progressiste sud-coréen, Lee Jae-myung, qui a pris le risque de s’aliéner une partie de son camp attachée aux questions mémorielles pour intensifier le rapprochement avec le Japon dans les domaines sécuritaire et économique, deviendra très inconfortable face à un raidissement nationaliste japonais.
Sanae Takaichi doit accueillir Donald Trump à Tokyo, le 28 octobre, et participer auxsommets de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean) et du forum Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), fin octobre et début novembre, où elle pourraits’entretenir avec le président chinois, Xi Jinping, et Lee Jae-myung. Autant d’occasionsde dissiper les interrogations sur ses intentions et convaincre qu’elle ne mérite pas le sobriquet de « talibane » dont l’a affublé Fumio Kishida, premier ministre du Japon de 2021 à 2024, en référence à ses obsessions idéologiques. Dans le cas contraire, le Japon pourrait se retrouver isolé, au risque de fragiliser un peu plus son économie et sa sécurité, tout en exacerbant l’instabilité régionale.