« N’avez-vous donc aucun sens de la décence, Monsieur ? » Cette question indignée, posée en pleine audition parlementaire par l’avocat de l’armée américaine Joseph N. Welch au sénateur Joseph McCarthy [le 9 juin 1954], sonna la mort politique de celui qui, cinq années durant, avait persécuté simples citoyens, artistes et intellectuels, élus et grandes institutions de son pays, au nom d’une infiltration communiste à conjurer.
En cette fin d’année 1954, le président Dwight D. Eisenhower et le Congrès désavouent alors la croisade d’un homme qui, à la faveur d’un anticommunisme virulent dans l’Amérique des années 1950, présida une commission sénatoriale chargée de traquer, interroger et condamner quiconque est soupçonné de sympathies de gauche. Sénateur républicain du Wisconsin, Joseph McCarthy avait déclaré dès 1950 la guerre aux « ennemis de l’intérieur » – titre de son discours le plus célèbre –, en avait fait le slogan de sa campagne et, plus encore, une raison d’Etat. Il affirmait posséder une liste noire, contenant les noms de milliers d’agents subversifs ayant, prétendait-il, infiltré ministères et agences publiques.
En réalité, McCarthy est loin d’être hérétique. La « chasse aux sorcières » menée par l’Etat américain, faite de fabrication de preuves, d’aveux arrachés, de procédures expéditives et d’intimidations policières, avait débuté dès 1919. Après que des anarchistes italiens avaient menacé des élus, le FBI de J. Edgar Hoover et un procureur avaient en effet orchestré une série de raids punitifs dans 11 villes américaines, ciblant les immigrants italiens et juifs d’Europe de l’Est. Cette opération se solda par plus de 6 000 arrestations. Dans le même esprit, le Congrès se dota en 1938 d’une commission sur les activités antiaméricaines, destinée à réprimer militants noirs, pacifistes ou socialistes.
McCarthy, s’il n’est pas l’instigateur de cette paranoïa politique, franchit pourtant un cran. Il est l’Etat contre lui-même. Sa cible privilégiée, ce sont les fonctionnaires de tout rang : plus de 1 500 d’entre eux sont révoqués, des centaines démissionnent, et McCarthy s’acharne à accuser les départements d’Etat et de la défense d’abriter sciemment de dangereux conspirateurs à la solde de Moscou.