Ce qui s’est produit le 8 octobre au Sénat américain marque un tournant décisif dans la vie démocratique des Etats-Unis. Pam Bondi, ministre de la justice du président Donald Trump, était convoquée par la commission judiciaire pour répondre des soupçons d’instrumentalisation politique du système judiciaire. Au lieu d’une audition classique, la ministre s’est livrée à une mise en scène d’une brutalité inédite : refusant de répondre aux questions, elle a accusé les sénateurs démocrates d’être des « ennemis du président », des « traîtres » et des « politiciens corrompus ».
Ce moment de télévision politique a mis en lumière ce que beaucoup redoutaient : le basculement d’un régime fondé sur l’équilibre des pouvoirs vers un exécutif sans contrepoids. Pam Bondi n’est pas une ministre comme les autres. Avant d’être nommée à la tête du département de la justice, elle fut l’avocate personnelle de Donald Trump lors de son premier procès en destitution. Sa loyauté n’est pas institutionnelle : elle demeure celle d’une avocate défendant un client. L’audition censée, entre autres, examiner la mise en accusation de l’ancien directeur du FBI James Comey – intervenue quelques heures après que le président l’a publiquement qualifié de « traître » – s’est transformée en procès politique des opposants au chef de l’Etat.
Ce n’est pas seulement la violence verbale de la ministre qui est frappante, mais aussi le silence du Parti républicain. Ni le président de la commission judiciaire, le vétéran Charles Grassley, ni aucun de ses collègues n’ont rappelé Pam Bondi à l’ordre. Aucun d’entre eux n’a pris la défense de leurs homologues démocrates, qu’ils côtoient pourtant depuis des décennies. Ce silence consacre la reddition morale d’un parti qui, depuis l’ascension de Donald Trump, a substitué la peur et la loyauté personnelle au sens de l’institution. Il faut mesurer la gravité du moment. Les auditions devant le Congrès constituaient jusqu’ici l’un des derniers rituels de contrôle de l’exécutif. Les sénateurs incarnaient la dignité du pouvoir législatif face au gouvernement. Ce rituel a été brisé. En affichant ouvertement son mépris pour les élus, Pam Bondi a envoyé un message d’une clarté glaçante : le Congrès n’existe plus comme contre-pouvoir.