Et si c’était cela, l’Amazonie rêvée ? Une forêt sans fin, déroulée jusqu’à l’horizon. Des ruisseaux dorés serpentant dans l’immensité verdoyante. Au loin, des collines se dressent, noyées sous des rideaux de pluie. Du minuscule avion cinq places, aux fauteuils usés et à la portière branlante, qui danse et tangue au gré des vents, la canopée défile, tel un océan de feuilles sans rivage. Vu d’ici, la jungle paraît faire le tour du monde.
Loin des plaies béantes d’une Amazonie mutilée surgit enfin un autre visage : celui d’un sanctuaire infini, préservé… mais tout sauf désert. Çà et là, dans les clairières, se dessinent d’imposantes cases concentriques aux allures de château fort : les demeures du peuple indigène yanomami, dont le territoire – le plus vaste du Brésil – s’étend sur plus de 9 millions d’hectares, soit la taille du Portugal. Trente-trois mille Amérindiens vivent ici dans 400 villages, souvent coupés du monde.
Emblématiques, les Yanomami constituent le plus grand peuple autochtone d’Amazonie encore relativement isolé, gardiens intransigeants d’une culture, d’une langue et d’un mode de vie millénaire, magnifiés par les clichés de photographes comme Claudia Andujar et Sebastião Salgado. Porteurs d’une cosmogonie fascinante et complexe, en symbiose avec leur belle et redoutable urihi (« terre-forêt »), ils incarnent, au même titre que les Kayapó du cacique Raoni, le symbole mondial de la résistance indigène. Mais, dans cet extrême nord brésilien, frontalier du Venezuela, dénué de routes et sillonné de fleuves, la plénitude n’est qu’apparente.