Syndrome de l’accent étranger : une Française se met à parler avec des intonations anglaises après un AVC

C’est l’histoire d’une femme de 39 ans. Elle est rapportée par des neurologues du service de neurologie du CHU de Rouen dans le numéro d’octobre 2025 de la Revue Neurologique. Cette patiente parle uniquement le français depuis l’enfance et n’a jamais souffert de troubles particuliers du développement.

Elle a été admise aux urgences en raison de troubles soudains de la parole. Cependant, la patiente a l’impression que parler lui demande beaucoup d’efforts, remarque un accent inhabituel dans sa voix et se sent moins à l’aise pour s’exprimer. Les neurologues, les urgentistes et le personnel infirmier s’accordent à dire que cette Française s’exprime désormais avec un accent étranger, plus précisément, britannique, alors qu’elle n’a jamais parlé anglais couramment.

L’examen neurologique est par ailleurs normal : aucune paralysie, aucune difficulté d’élocution manifeste. La parole reste fluide, sans trouble de la formulation, autrement dit sans aphasie, ni déficit moteur des muscles de la parole, ce qui exclut une dysarthrie.

L’imagerie par résonance magnétique (IRM) révèle une occlusion de l’artère cérébrale moyenne droite, avec des lésions s’étendant à l’insula droite et au gyrus précentral droit.

Deux heures après le début des symptômes, la patiente reçoit une perfusion intraveineuse d’alteplase (traitement thrombolytique) et est transférée en unité neurovasculaire. Le scanner de contrôle confirme l’infarctus cérébral, sans hémorragie associée. Elle reçoit alors de l’aspirine.

Malgré la stabilisation de son état neurologique, la patiente continue de présenter des troubles de la parole. Bien qu’elle soit de langue maternelle française, les personnes autour d’elle perçoivent désormais sa voix comme ayant un accent anglais.

L’orthophoniste a pu comparer sa voix avant et après l’AVC grâce à une vidéo enregistrée avant l’accident vasculaire cérébral, confirmant que cette altération de la parole était bien consécutive à l’AVC.

Aucune apraxie n’est décelée, c’est-à-dire aucun trouble de la planification ou de la séquence des mouvements articulatoires. De même, aucun signe d’aphasie n’est observé. Plus précisément, la patiente n’a pas de difficulté à trouver ses mots, à comprendre le sens des phrases, ni à répéter des mots (même inventés), ni à lire à haute voix. Sa compréhension du langage oral est également intacte. Tous les examens confirment que sa capacité à parler et à comprendre le langage est restée normale.

Bien que la parole de la patiente paraisse bizarre, il n’y a pas vraiment dans sa parole de sons manquants, ajoutés ou remplacés. Le problème vient principalement d’une difficulté à bien bouger la langue. Celle-ci semble se placer un peu trop en arrière, ce qui perturbe la production de certaines consonnes comme le « l » et le « r », qui deviennent moins nets.

Ce mouvement de la langue vers l’arrière modifie aussi la façon dont elle prononce certaines voyelles. Résultat : les sons « i » et « y », censés être articulés à l’avant de la bouche, ressemblent davantage à des sons produits à l’arrière, comme « e » ou « u ». Cette tension sur la partie postérieure de la langue et de la cavité buccale donne à sa voix un timbre inhabituel, proche de celui perçu dans l’accent anglais.

Une analyse d’imagerie cérébrale avancée a permis d’aller plus loin que l’IRM. Les neurologues ont utilisé le logiciel Tractotron. Pour une lésion donnée, Tractotron fournit une probabilité de dysconnexion des faisceaux de substance blanche dans n’importe quelle région du cerveau. Au-dessus d’une probabilité de déconnexion de 50 %, le faisceau est plus susceptible d’être déconnecté que de ne pas l’être. Selon les calculs, le faisceau majoritairement touché chez cette patiente était le faisceau frontal oblique droit, avec une probabilité de 92 %.

Récemment identifié chez l’humain, le faisceau frontal oblique (FFO) connecte l’aire motrice supplémentaire avec le territoire de Broca de l’hémisphère dominant (impliqué dans la production du langage) et l’insula. Il joue un rôle central dans le contrôle moteur du langage. Des études antérieures l’ont déjà impliqué dans le bégaiement persistant, trouble du rythme de la parole apparu durant l’enfance et n’ayant pas régressé.

On comprend donc qu’une lésion du FFO puisse provoquer un syndrome de l’accent étranger, conséquence d’une désorganisation du contrôle moteur des muscles impliqués dans la production de la parole, en particulier ceux de la langue.

La plupart des cas de syndrome de l’accent étranger rapportés dans la littérature concernent des lésions du cortex cérébral. Seules quelques études ont suggéré que des atteintes sous-corticales pourraient contribuer à ce syndrome en perturbant les réseaux impliqués dans la production motrice de la parole. « Cette étude souligne l’importance d’analyser les régions sous-corticales et les faisceaux qui leur sont associés car ils pourraient jouer un rôle clé dans la compréhension des symptômes », résument les auteurs.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les personnes qui entendent ces patients identifient le type d’accent étranger selon celui qu’elles connaissent le mieux. L’impression d’étrangeté de l’accent diffère donc fondamentalement de celle d’un véritable accent étranger.

Ce qui rend ce cas clinique d’autant plus exceptionnel, c’est qu’il s’accompagne d’une lésion de l’hémisphère droit. Seulement quatre cas de syndrome de l’accent étranger associé à une atteinte du cerveau droit ont été rapportés à ce jour, précisent dans leur article Guillaume Costentin, Alexandre Morin et leurs collègues.

Le syndrome de l’accent étranger peut également s’accompagner d’une modification du rythme et de la mélodie du langage (prosodie), ce qui n’est pas le cas de la patiente décrite par les neurologues rouennais.

Dans la majorité des cas publiés, le syndrome de l’accent étranger est d’origine neurologique. Seuls quelques cas seraient liés à une cause psychogène. Les causes les plus fréquentes de ce syndrome sont les accidents vasculaires cérébraux et les traumatismes crâniens survenant dans l’hémisphère dominant qui traite le langage, ainsi qu’une métastase cérébrale.

En 2009, des neurochirurgiens américains ont rapporté le cas d’une sexagénaire atteinte d’un cancer du sein qui a présenté un syndrome de l’accent étranger en rapport avec une métastase cérébrale. Cette patiente américaine s’est mise à parler avec un accent perçu comme suédois.

En 2023, des cancérologues américains ont décrit le cas d’un patient atteint d’un cancer de la prostate métastatique qui s’est mis à parler avec un accent irlandais à couper au couteau, alors même qu’il n’avait jamais mis les pieds en Irlande.

On ne compte dans la littérature médicale pas plus de 180 cas de syndrome de l’accent étranger. Le premier cas documenté remonte à 1907 : il s’agissait d’un Parisien suivi par le neurologue français Pierre Marie. Après un AVC touchant la partie sous-corticale de l’hémisphère gauche, ce patient souffrait d’une paralysie du côté droit et fut totalement privé de parole pendant neuf ans. Il retrouva progressivement la capacité d’articuler, mais son débit verbal adopta alors un accent alsacien, perçu comme étranger par son entourage.

La même année, le neurologue tchèque Arnold Pick livrait une analyse détaillée des troubles linguistiques survenus chez un boucher de 26 ans. Suite à un AVC à gauche en 1919, ce dernier, dont la langue maternelle était le tchèque, s’est mis à parler avec un accent évoquant le polonais.

En 1947, le neurologue norvégien Georg Monrad-Krohn a rapporté le cas d’Astrid, une Norvégienne de 30 ans, ayant développé un accent allemand suite à un traumatisme crânien gauche. Elle avait été blessée par un éclat d’obus et avait fait une chute de huit mètres de haut. Cela lui valut d’être confondue avec une ressortissante du pays occupant par les commerçants, qui refusaient de lui vendre quoi que ce soit.

Au-delà de la curiosité neurologique, ces rares cas de syndrome de l’accent étranger soulignent combien la production du langage est un acte finement coordonné au niveau moteur. Ils illustrent qu’une lésion cérébrale, corticale et/ou sous-corticale, peut bouleverser la dimension phonétique de la parole sans pourtant altérer le contenu linguistique.

Pour en savoir plus :

LIRE aussi : Atteint d’un cancer de la prostate, un Américain se met à parler avec un accent irlandais

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