Toute entreprise patrimoniale a quelque chose de dément. Quelles limites fixer au désir de figer dans le temps des biens représentatifs de modes de vie passés ? Et selon quels critères déterminer cette représentativité : cherche-t-on le typique ou l’unique ? Quel bonheur alors pour un dénicheur du commun qu’un objet éminemment caractéristique et néanmoins tout à fait singulier !

Dans les années 1960, l’agriculture poursuit sa lente modernisation, précipitant la disparition d’une paysannerie traditionnelle dont les spécialistes de la culture populaire entendent préserver les traces au Musée national des arts et traditions populaires (MNATP), disparu en 2005. C’est dans ce contexte que se déroule, entre 1964 et 1968, une fascinante campagne de préservation et de muséification, dont Bertrand Tillier, professeur à l’université Paris-1, livre l’histoire dans Le Fantasme patrimonial.

Or, ici, le fantasme se loge avant tout dans le désir d’exhaustivité qu’illustre le concept d’« unité écologique » – un espace de vie traditionnel, prélevé de son contexte naturel afin d’être conservé et exposé. De quoi s’agit-il ? Du lieu-dit Les Fajoux, situé dans un minuscule hameau de l’Aubrac, département du Cantal. Y vivent Laurent Girbal et sa sœur, Joséphine Girbal, tous deux célibataires, dans une ferme dont la salle commune, parfaitement préservée, réunit tout ce dont se composait ce type de vaste pièce où les paysans vivaient, dormaient, recevaient et réalisaient une grande partie des travaux domestiques.

Avec l’assentiment des Girbal, voici une équipe de 27 enquêteurs (dont 16 ethnographes) se lançant dans une opération d’inventaire systématique puis de démontage, pièce à pièce, de cette salle commune, remontée ensuite pour être conservée dans les collections de l’Etat – une grande exposition se tiendra au Grand Palais en 1980, décrétée année du patrimoine. Le tout en échange de 12 000 francs et de la réfection à neuf de la salle. Etrangement, note l’historien, aucune enquête ethnographique ne fut menée sur le travail du menuisier chargé de restaurer celle-ci à l’identique : le savoir-faire de ce Camille Bec participait pourtant de la même tradition.

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