Cruel paradoxe pour les dizaines de milliers de victimes françaises d’accident vasculaire cérébral (AVC) chaque année : alors que d’immenses progrès médicaux ont été accomplis, tout le monde ne profite pas de ces avancées. Ce constat, formulé depuis plusieurs années par les spécialistes médicaux, est relayé cette semaine par deux grandes institutions : la Haute Autorité de santé (HAS) et la Cour des comptes, moins spécialisée en santé qu’en évaluation des politiques publiques, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre les accidents vasculaires cérébraux (AVC) mercredi 29 octobre.
Chaque année, les AVC tuent 35 000 Français, représentant la première cause de mortalité féminine et la seconde masculine. Les survivants sont souvent frappés d’importantes séquelles. Dans des publications séparées, les deux instances formulent des recommandations qui se recoupent largement. D’abord améliorer l’information sur les AVC car, à l’apparition des symptômes – paralysie soudaine d’un membre, troubles brusque de la parole, perte de la vision d’un œil… –, trop de patients ne réagissent pas en appelant le 15 en urgence alors que chaque minute compte.
Mais, surtout, elles pointent les inégalités de prise en charge, en particulier territoriales. Selon la Cour des comptes, la moitié seulement des victimes d’AVC est conduite dans une unité neurovasculaire : quelque 70 000 personnes sont ainsi privées de la possibilité d’être traitées au mieux, par manque notamment de lits et de personnel. A plus long terme, les patients sont mal suivis. Sur ceux qui mériteraient une rééducation approfondie, environ un tiers ne rejoigne pas un service de rééducation, mettant en danger leurs chances de se rétablir, voire d’éviter une récidive.
La cour recommande en particulier la relance d’un grand plan national. L’Etat en avait déployé un au début des années 2010, permettant notamment la création d’une grosse centaine d’unités dédiées. Mais, depuis, « l’implication et la coordination de l’ensemble des acteurs se sont progressivement essoufflées », regrette l’institution, qui chiffre à 4,5 milliards d’euros le coût général de la prise en charge des AVC en France.
« On a fait tellement de progrès scientifiques qu’il faut maintenant se concentrer sur l’offre de soins et la mise en œuvre de ces magnifiques découvertes », affirme à l’Agence France-Presse (AFP) la neurologue Charlotte Cordonnier, présidente de la Société française neuro-vasculaire (SFNV).
Depuis la fin des années 1990, les innovations médicales se sont multipliées pour finalement révolutionner le traitement des AVC, du moins pour leur forme la plus courante, qui est provoquée par l’obstruction d’une artère par un caillot. Autrefois, « le pronostic était vraiment très sombre, il n’y avait pas de traitement efficace ; en vingt ans, ça a changé et ça continue encore », explique à l’AFP le neurologue Sébastien Richard, membre du réseau français de recherche Strokelink.
Des techniques ont changé la donne : à partir des années 2000, la thrombolyse par intraveineuse, qui vise à dissoudre le caillot incriminé, puis, depuis le milieu des années 2010, la thrombectomie mécanique, une opération de très haute précision qui permet de directement retirer le caillot à l’aide d’un tube qui traverse le corps de la jambe au cerveau.
Autre avancée majeure : la création de services spécialement dévolus au traitement de l’AVC dans les hôpitaux. L’expérience montre que ces « unités neurovasculaires », qui réunissent des soignants connaissant bien la pathologie, multiplient les chances de rétablissement. Ainsi, depuis une vingtaine d’années, la mortalité a diminué de moitié : un patient sur quatre meurt d’un AVC en France et non plus un sur deux.