Histoire d’une notion. Dans l’éventail des doctrines politiques, le recours au lexique médical du cordon sanitaire exprime d’emblée l’urgence du moment et la dangerosité de l’adversaire. L’affaire est grave, il s’agit d’une question de vie ou de mort. Pour autant, si la stratégie se révèle efficace en santé publique pour limiter la propagation des virus, elle échoue en politique à freiner la contamination des idées.
Le projet d’établir un cordon sanitaire à l’égard de l’extrême droite est né en Europe dans les années 1980. Dans de nombreux pays de l’Union, les grands partis démocratiques des régimes parlementaires s’engagent alors à refuser « toute alliance électorale, collaboration ou coalition dans un exécutif local ou national avec l’extrême droite afin de marginaliser des idées antidémocratiques », explique le politiste Emilien Houard-Vial. Cette mise à distance peut aller jusqu’à refuser de signer un rapport ou des motions communes, d’entretenir des relations personnelles, voire de débattre publiquement avec l’adversaire.
« Cette doctrine a tenu jusque dans les années 2000, continue le politiste, avant de céder progressivement au fur et à mesure que grimpaient les scores des partis d’extrême droite dans de nombreux pays européens ». L’Autriche ouvre une première brèche en 2000, suivie par le Danemark, l’Italie, l’Espagne en 2019 et la Suède en 2022. « Jusqu’à présent, le refus de coalitions officielles à l’échelle nationale a tenu bon en Allemagne et en France, mais pas celui d’alliances ponctuelles pour le vote de motions et de lois », précise Emilien Houard-Vial.
En France, l’expression apparaît pour la première fois en 1987 dans un manifeste signé par 122 personnalités de gauche. Mais c’est à droite que les tensions sont les plus vives. « Aux élections municipales de 1977, nul ne se soucie que quelques candidats d’extrême droite soient présents sur des listes de la droite parlementaire. Tout change avec l’émergence du FN [Front national, devenu le Rassemblement national en 2018] lors de la municipale de Dreux en 1983 » , note l’historien Nicolas Lebourg. L’union de la liste frontiste avec celle de la droite RPR-UDF résonne alors comme un coup de semonce.
 
 


