« J’ai décidé de ne pas jouer à ce jeu-là, donc j’ai passé l’année quasiment seule dans l’entreprise », se souvient Jeanne (le prénom a été changé pour préserver l’anonymat), 24 ans, aujourd’hui consultante RH. Alors qu’elle est étudiante en psychologie, dès son premier jour d’alternance dans un grand groupe de cosmétiques français, le ton est donné : réseauter, c’est la moitié du travail. « On te dit d’office que pour te situer dans la boîte, pour exister, il faut que tu envoies des messages sur Teams à des gens que tu ne connais pas, caler des cafés, proposer des déj, ajouter des collègues sur LinkedIn… », énumère-t-elle.
Des pratiques que la jeune femme juge « hyperfake », qui lui serrent la gorge et provoquent chez elle « des angoisses monumentales ». Ces injonctions tacites, Jeanne les résume d’un mot : le « fit », ou la « culture du fit ». « C’est tout un tas de valeurs qu’il faut incarner, de comportements qui doivent coller à la culture de l’entreprise et sur lesquels on va t’évaluer », explique-t-elle. Un souvenir de sa journée d’intégration lui revient : « Quelqu’un passait le micro et chacun devait annoncer le nombre de “fits”, donc de cafés ou de rendez-vous auxquels il avait pris part, pour prouver son intégration et sa capacité à bien réseauter dans l’entreprise. » Jeanne, elle, n’en fera presque aucun. « Je trouvais ça tellement gênant de parler à des gens que tu ne connais même pas, sans même dissimuler l’intérêt derrière. C’est l’angoisse absolue », s’exclame-t-elle.