Prêt du « Désespéré » de Courbet à la France : « C’est le destin immémorial des œuvres d’art d’être captées par la puissance et par l’argent »

Le magnétique Désespéré (entre 1843 et 1845), de Gustave Courbet, compte sans doute, avec les portraits de « Monomanes », de Théodore Géricault, qui le précèdent d’une vingtaine d’années, parmi les plus fascinantes représentations de l’angoisse humaine : c’est dire à quel point il est actuel, et combien il nous est nécessaire.

C’est un des plus célèbres tableaux de l’artiste, mais c’en est également un des moins accessibles au public. En France, sa dernière exposition remontait à 2007-2008, à l’occasion de la rétrospective du peintre au Grand Palais. En effet, jusqu’à sa vente, en 2014, il appartenait aux héritiers de son premier acquéreur, qui le conservaient dans le coffre d’une banque ; il est, depuis, la propriété de la princesse du Qatar Al-Mayassa Bint Hamad Al-Thani, qui le destine à l’Art Mill Museum, dont l’ouverture est prévue à Doha en 2030.

Il est aujourd’hui, pour cinq ans, sur les cimaises du Musée d’Orsay. Après quoi, bénéficiant d’une « autorisation de sortie temporaire » d’une durée sans doute largement supérieure à celle en général prévue pour une exposition, il rejoindra le Qatar ; puis il sera exposé alternativement à Paris et à Doha.

Situation singulière – « bancale », écrit Julien Lacaze dans Sites & Monuments, le 15 octobre – régulièrement dénoncée par les associations de défense du patrimoine depuis qu’un article de La Tribune de l’art, le 14 octobre, en a averti ses lecteurs.

En effet, si la traduction juridique française d’une norme européenne concernant la conservation des « trésors nationaux » avait été respectée, l’acquéreuse aurait dû demander pour le tableau une « autorisation de sortie temporaire du territoire » que les autorités lui auraient refusé, l’œuvre étant d’une valeur estimée à plus de 300 000 euros (plutôt dans les 50 millions, semble-t-il) et datant de plus de cinquante ans.

Le tableau dès lors considéré « trésor national », l’Etat aurait alors eu un délai de trente mois pour réunir les conditions de son achat au prix du marché – le plus souvent au moyen d’une souscription très largement défiscalisée – et, en cas d’échec, aurait dû le laisser partir définitivement. C’est ce dispositif qui n’a pas fonctionné, probablement inhibé par les services diplomatiques, au prix de ce que la journaliste Roxana Azimi qualifie, à juste raison, dans Le Monde, d’« entourloupe juridique ». Ni vu ni connu : le tableau, appartenant au Qatar, reste en France, qui le prête.

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