En génétique des textes (ainsi désigne-t-on l’étude des manuscrits, depuis les premières notations jusqu’à la publication de l’œuvre), on nomme « phase prééditoriale » celle où le manuscrit définitif se trouve établi et les épreuves soumises à l’auteur pour être corrigées. En mars 1913, lorsqu’il décida de publier à compte d’auteur ce qui s’intitulait alors LeTemps perdu, Bernard Grasset (1881-1955) ne s’attendait pas à ce que, en plus des corrections attendues, Marcel Proust (1871-1922) multiplie les ajouts, au point de payer pour obtenir plusieurs jeux d’épreuves. N’y voyons pas un caprice d’auteur, mais plutôt le résultat de la dynamique propre au futur A la recherche du temps perdu, qui s’écrivit par accroissement de la matière romanesque.
Cette genèse que l’on peut qualifier d’interne retient généralement toute notre attention, tant les ajouts de Proust fascinent. Or, la phase prééditoriale comporte un autre versant, externe cette fois-ci : celui des rapports entre l’auteur et son éditeur, jugés moins nobles parce que mercantiles. En rend compte la correspondance de Proust avec Grasset, qui fit paraître Du côté de chez Swann en novembre 1913, et avec Gaston Gallimard (1881-1975), qui, en arrachant l’écrivain à son concurrent (alors qu’il l’avait refusé en 1912), engrangea avec A l’ombre des jeunes filles en fleurs son premier prix Goncourt en 1919.