Condamnation de Christophe Gleizes : Alger au risque de l’aveuglement

A quel jeu joue exactement le régime algérien ? Voudrait-il doper ses adversaires les plus résolus à l’étranger, particulièrement en France, et décourager les tenants d’un dialogue apaisé, réfractaire aux surenchères aux relents souvent douteux, qu’il ne s’y prendrait pas autrement. A bien des égards, la condamnation du journaliste français Christophe Gleizes, le 3 décembre, à sept ans de prison par la cour d’appel de Tizi Ouzou est incompréhensible. Elle n’est pas seulement un déni de justice criant, reposant sur une accusation fantasmagorique d’« apologie de terrorisme » visant un reporter ayant enquêté sur la Jeunesse sportive de Kabylie – le grand club de Tizi Ouzou, et l’un des plus beaux palmarès du football algérien. Elle est surtout d’une totale irrationalité au regard des intérêts stricts de l’Algérie et de son image à l’étranger.

Mais le pouvoir algérien est-il encore accessible aux évidences de la raison, aveuglé qu’il est par une paranoïa qu’il pense être la recette de sa survie ? On peut en douter, alors qu’il vient de gâcher une rare occasion de remettre sur les rails sa relation avec la France, en crise ouverte depuis près d’un an et demi. La grâce accordée le 12 novembre par le président Abdelmadjid Tebboune à l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal semblait préluder à une accalmie. Cet acquis, fruit de discrètes négociations en coulisses facilitées par la médiation de l’Allemagne, signait le succès d’une diplomatie du dialogue respectueux. Il sanctionnait par là même l’échec de la méthode du « rapport de force » promue par l’ancien ministre de l’intérieur français Bruno Retailleau.

Dans ce contexte décrispé, tous les signaux étaient au vert, à la veille du procès en appel de Christophe Gleizes, ce dernier écueil à franchir avant d’envisager de renouer les fils plus durablement. A Paris comme à Alger, une nouvelle dynamique, plus constructive, s’esquissait. Las, l’implacable verdict de la cour de Tizi Ouzou annihile ces progrès, au mépris de toute logique. Car on se demande bien quelle peut être celle de ce raidissement qui va placer en France les tenants du dialogue sur la défensive et enhardir les partisans de la confrontation.

Certes, rien n’est définitivement scellé. On n’ose imaginer que le dossier Gleizes s’éternise dans l’impasse. Mais ce qu’enseigne cette séquence, ainsi que les épisodes de tension antérieurs, n’est guère encourageant pour l’avenir. Elle révèle la nature d’un régime qui, après la peur suscitée par le Hirak, le mouvement antisystème de 2019-2020, se livre à une revanche acharnée et méthodique ciblant tous ceux qu’il perçoit comme une menace, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Que ce régime soit miné par les luttes de clans n’y change rien. Ses fractures ne font au contraire qu’ajouter à un sentiment de fragilité l’aspirant davantage dans le jusqu’au-boutisme répressif. Et dans l’exaltation d’un nationalisme mortifère jouant cyniquement sur le ressentiment antifrançais.

Pour Paris, le défi est préoccupant, eu égard aux enjeux mémoriels, migratoires et stratégiques d’une relation cruciale. La densité des liens issus de l’histoire et de la géographie commande à l’évidence une approche raisonnée de l’Algérie. Entre l’angélisme stérile et l’agressivité toxique, il faut trouver une voie où le pragmatisme, à savoir la sécurité dans la cohésion nationale, finisse par s’imposer à l’idéologie.

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