Si on en a l’âge, on se souvient peut-être qu’il y eut, au tout début des années 2000, une sorte d’« effet Houellebecq » sur le roman français : à la suite des Particules élémentaires, qui fit forte impression à la rentrée 1998 (Flammarion), on assista en effet à une vague de récits néoréalistes et sarcastiques qui mettaient en scène des antihéros diversement médiocres, dans une société déjà déliquescente, souvent minutieusement décrite et vouée parfois à de possibles insurrections. Il semble que cette tendance ait fait long feu, si l’on en juge par l’actuel succès des romans d’inspiration familiale ou autofictionnelle. On y repense néanmoins à la faveur d’un livre qui apparaît, du coup, comme atypique et presque provocant : Le Fou de Bourdieu, de Fabrice Pliskin. Ce roman aurait-il pu être publié il y a vingt-cinq ans ? Peut-être pas, car il intègre des éléments très contemporains, comme le développement des réseaux sociaux, mais il retrouve aussi, dans sa noirceur farcesque et l’efficacité faussement désinvolte de son style, quelque chose d’une veine un peu passée, pour livrer un tableau assez saisissant de la société d’aujourd’hui.

Le récit se fonde sur un fait divers : Antonin Firminy, un commerçant auvergnat, est victime d’un cambriolage particulièrement violent, à l’occasion duquel il tue l’un de ses agresseurs, un certain Chamseddine, d’une balle dans le dos. Est-il raciste, adepte de l’autodéfense, adhérent à un quelconque parti prônant l’ordre et l’usage de la force ? Pas vraiment, et c’est par là que le roman commence à être intéressant, sous son vernis prétendument documentaire. « Le bijoutier de Brioude », comme le baptise aussitôt la presse, est un homme ordinaire, au fond, dont la personnalité est faite des brisures de la vie, petits traumas ou faits de famille, sans véritables traits marquants. Sa célébrité de « justicier » l’encombre, et il fait profil bas dans la prison où il échoue après son procès, que Pliskin décrit avec une sorte d’application verveuse, presque sadique : un univers où l’humiliation est la norme, et qui permet de grossir comme à la loupe les pulsions humaines les plus viles.

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