Voilà un article du Monde qui aurait à coup sûr déplu à cette fidèle et exigeante lectrice, tant l’idée d’une mise en avant de sa personne lui faisait horreur. « Un éditeur, ça lit et ça publie », disait-elle pour fermer le ban quand elle était sollicitée par des journalistes. Seuls comptaient les textes. Mais Irène Lindon, qui dirigea les Editions de Minuit de 2001 à 2021, après y avoir travaillé trente ans au côté de son père, Jérôme (1925-2001), est morte dimanche 7 décembre, à Paris. Elle avait 76 ans. Sa voix rauque de grande fumeuse ne morigénera pas les auteurs coupables d’avoir forcé leur pudeur pour saluer celle à qui ils doivent tant. Tel Eric Chevillard, qui clôt ainsi le court texte ému qu’il consacre à cette « main de velours dans un gantelet de fer » sur son blog, « L’autofictif » : « Avec toute ma reconnaissance et tout mon respect, chère Irène, et, oui, pardon, toute mon affection aussi. »
A son frère Mathieu, écrivain et journaliste, Irène Lindon avait, un jour, confié une phrase qu’il cite dans son récit Une archive (P.O.L, 2023) et qui régla entre eux toute éventuelle question concernant la succession de leur père : « Les éditions, c’est ma vie. » Celle-ci commence le 5 avril 1949, à Paris. Elle naît un an après que son père a pris la direction des Editions de Minuit, fondées en 1941 dans la clandestinité par Vercors (le pseudonyme de Jean Bruller) et Pierre de Lescure. Jérôme Lindon, qui s’était engagé tôt dans la Résistance, est entré chez Minuit comme chef de fabrication en 1946.