Comme nous le rappelle Thibaud Croisy dans son émouvante postface, c’est à trois occasions que la Nef des folles, forte de sa piraterie chamarrée, ondoyante et glapissante, a jeté l’ancre à Paris. La première fois, c’était en 1880, à la Salpêtrière, quand le cirque Charcot, une fois l’an, offrait à une bourgeoisie sélecte l’encanaillement passager d’un carnaval des hystériques, les patientes du digne mandarin y festoyant alors, grimées et costumées ; la deuxième fois, autre temps, autres folies, ce fut dans l’entre-deux-guerres, à l’heure d’un mardi gras de fond de teint, alors que tout le monde des travestis parisiens déferlait dans le ballroom du Magic City, qui en Bécassine, qui en Cléopâtre, les plus sages en Du Barry ; troisième razzia viking dans les années 1970 et 1980, avec les Gazoline Sisters, qui, aux cris de « Biiite ! », terrorisaient le Quartier latin, godemiché en sautoir.
De cette triple offensive, Le Bal des folles, autobiographie fantasmée du dessinateur, dramaturge et dessinateur Copi (1939-1987), né en Argentine Raul Damonte Botana, porte la marque et exalte la follitude bacchique et les extases frénétiques. Copi écrit comme il vit, d’un seul jet, sans pause ni paragraphe, pur de temps mort et de point final. Livré à l’élan d’amours non paramétrables, sexe à la sauvette ou passion à l’italienne avec Pierre ou Marilyn, entre Rome et New York, le boulevard de Magenta et les Baléares, la vie grand angle de Copi recèle de hauts moments, comme l’étreinte d’un python qui le laisse unijambiste, la vie dans l’île d’Ibiza, ses hippies intemporels et ses requins-tueurs, et, surtout, l’apologie de la vie parisienne comme fiesta sans fin et création sans limite. Ses folles n’aiment pas les cages, elles préfèrent les bals. On les comprend.