Se sentir accepté au sein d’un cercle familial se lit parfois dans un détail à table. La présence d’un set sous chaque assiette. Car ce privilège n’est accordé qu’aux intimes, quand la maison se détend et qu’un simple rectangle en lin ou en paille en lieu et place d’une nappe vient protéger le plateau.
L’objet est modeste mais à l’origine d’une petite révolution domestique au début du XXe siècle. En France, une table sans nappe est alors à peu près aussi choquante qu’un dessert sans sucre. Rien de neuf pourtant dans l’usage d’un rectangle individuel.
Dans les auberges du Moyen Age, lorsque tout le monde mangeait à la même table, on déposait un carré de tissu devant les convives des classes supérieures, pour rappeler à chacun son rang. Mais, à l’époque, cette mise en scène textile ne protège rien. Elle est faite pour distinguer socialement.
Lorsque le set débarque d’Angleterre, dans les années 1920, cet ensemble de napperons à poser directement sur le bois veut seulement faire oublier les nappes amidonnées. Avec lui, le repas sera « à l’anglaise ». C’est-à-dire sans nappe ni chichis et cérémonie.
Rapidement, il devient une solution pratique et à la mode pour les petits déjeuners et les dîners sans invités de ce côté-ci de la Manche aussi. Les années 1950 le déclinent dans toutes les matières, la société veut du simple et du décontracté.
Mais gare aux impairs, prévient Jean-Michel Garric, conservateur du Musée des arts de la table de l’abbaye de Belleperche (Tarn-et-Garonne), « le set est admis entre amis. Pour un repas formel, c’est la nappe ». On peut être moderne, pas familier.
Le set contemporain a gagné une certaine capacité à dire quelque chose de la maison. Certaines pizzerias ou crêperies les choisissent en papier à usage unique et y impriment leurs menus. D’autres les assortissent aux saisons, à leurs soirées à thème ou à la bordure de leurs soucoupes.
Chez La Gallina Matta, maison romaine de linge de table, Marie Dukerts voit parfois des clients venir avec leurs assiettes pour choisir la teinte de set parfaite. Elle promet que des sets sur une nappe « donnent une troisième dimension à la table et plus de caractère », et que toutes les associations et audaces sont acceptables. La boutique en ligne du Centre Pompidou en vend même en mélaminé sur liège imprimés de croquis de Picasso, un clin d’œil au maître qui griffonnait sur les nappes de bistrot.