« Le Vélodrome de Marseille, c’est un volcan »

« Le Vélodrome de Marseille, c’est un volcan »

« Le Vélodrome, c’est la maison des Marseillais. C’est là où on se retrouve. Là où on gagne, là où on perd. Là où on gagne plus qu’on ne perd, assure une spectatrice. C’est là qu’on fait la fête. » Observateur attentif de la vie des stades, Christian Bromberger, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille, est le fondateur de l’Institut d’anthropologie et d’ethnologie sociale et il le constate à chaque fois : « Le stade est le seul espace de la ville où se réunissent des populations très différentes par leur statut et par leur condition. » C’est surtout le seul à gommer leurs différences, argumente Romain Canuti, journaliste sportif pour plusieurs médias marseillais. « A la plage, il y en a qui ont des caleçons de bain Vilebrequin, et d’autres qui sont en Quechua. Ici, on a tous le même maillot, celui de l’OM. »

Cette maison des Marseillais a subi plusieurs transformations d’ampleur depuis la pose de ses premières fondations, et elle n’a pas toujours été si bien aimée des Phocéens. En 1938, la ville doit accueillir des matchs de la Coupe du monde de football, mais, à l’époque, le grand public accorde surtout ses faveurs au cyclisme. C’est donc une piste circulaire, un vélodrome, qui est construit sur les terrains d’anciennes usines automobiles, au sud de la ville. Il y a aussi une cendrée – une piste d’athlétisme – et les joueurs de rugby s’invitent également sur la pelouse centrale. Sans compter les compétitions de tennis, de hockey, de moto… mais aussi de pétanque, et jusqu’aux courses de lévriers. Le club de l’Olympique de Marseille possède, lui, son propre stade, l’Huveaune, et rechigne à payer à la ville un loyer, qu’il juge trop élevé, pour s’installer au Vélodrome.

Longtemps, c’est donc la politique qui décide. Un bras de fer financier s’engage entre le club et la ville administrée par Gaston Deferre, en plein développement avec, notamment, la Cité radieuse. En 1966, l’OM accède à la première division – équivalent de la Ligue 1 aujourd’hui – et la mairie revoit ses exigences de loyers à la baisse. Pendant ce temps, l’Huveaune s’est dégradé et le public est devenu plus nombreux : au début des années 1970, une première rénovation du Vélodrome le prive de ses pistes de cyclisme et d’athlétisme pour augmenter sa capacité d’accueil à 55 000 spectateurs. A partir de là, le stade devient « un symbole de Marseille, au même titre que Notre-Dame de la Garde [la basilique qui domaine la ville], relève Christian Bromberger. Mais la Bonne Mère est un symbole religieux, et tout le monde n’y adhère pas. » Alors qu’au football…

Les dernières rénovations d’ampleur apportées au stade pour l’Euro 2016, avec l’ajout d’une structure métallique servant à la couverture des spectateurs et l’élévation à plus de 67 000 du nombre de places, finissent de convaincre les Marseillais. Depuis la tribune presse, le journaliste Romain Canuti apprécie l’ambiance. « Au Vélodrome, c’est le public qui rend le spectacle exceptionnel. Le côté volcan du stade prend tout son sens. C’est une grosse enceinte et avec ce public si nombreux, c’est assez vertigineux. Quand on est habitué du Vélodrome, tous les autres stades paraissent petits. »

L’implantation géographique du stade, au cœur de ce qui est aujourd’hui un des quartiers les plus cossus de la cité, le 8e arrondissement, concourt à fédérer les Marseillais autour de leur équipe : les jeunes des très populaires quartiers Nord viennent au Vélodrome pour soutenir les joueurs, s’insérant pour quelques heures, au moins, dans la vie de la cité sans distinction d’origine sociale. « Autrefois, c’étaient soit les communistes soit les paroisses qui avaient la charge de la jeunesse, note Christian Bromberger. Aujourd’hui, ce sont les clubs de supporteurs. C’est ce qui me fait dire que les stades sont devenus le nouveau lieu du politique. »

Il faut comprendre le mot politique dans son sens premier, celui de la vie de la cité. Selon l’ethnologue, le stade serait une agora moderne qui réunit les citoyens de tous les horizons. Les supporteurs y forment des groupes au sein desquels on débat, on s’entraide pour défendre des intérêts communs. En y encadrant aussi la jeunesse, on l’initie à la vie de la communauté. Romain Canuti abonde : « De tous les âges et de tous les quartiers, on se retrouve ici, et ce n’est pas un mythe : une fois qu’on est là, on est tous sur un pied d’égalité. »

Retrouvez tous les épisodes de notre série sur les stades.

La saison 3 du podcast « Archi intéressant » est produite à l’occasion de l’exposition « Il était une fois les stades », présentée du 20 mars au 16 septembre 2024 à la Cité de l’architecture et du patrimoine.

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