Les députés ont très largement rejeté le traité de libre-échange négocié entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, par 484 voix contre et 70 pour, à l’issue d’un vote à l’Assemblée nationale, mardi 26 novembre. Ce vote non contraignant intervient une semaine après le début de la mobilisation des agriculteurs opposés à cet accord commercial pour lequel seule la Commission européenne est habilitée à négocier pour les Vingt-Sept.
Dans l’hémicycle, la ministre de l’agriculture, Annie Genevard, a affirmé que « dans les conditions actuelles » le projet d’accord entre l’UE et le Mercosur ne garantit pas des « conditions de concurrence loyales pour nos agriculteurs ». Cependant il serait « irresponsable pour la France de s’opposer par anticipation et par principe à tout accord de libre-échange », a-t-elle ajouté, se félicitant que « le conseil des ministres polonais a décidé de voter contre ».
Une bonne partie de la gauche et le Rassemblement national craignent toutefois que cette opposition de l’exécutif au traité, seulement en l’état et pas de manière définitive, ne soit pas suffisante. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, « pourra s’engouffrer dedans et à la fin il y aura le Mercosur », a déclaré Marc Fesneau, chef du groupe MoDem et ancien ministre de l’agriculture, lors de la conférence des présidents de l’Assemblée.
« Cet accord sera la goutte d’eau qui fera exploser la colère des électeurs français si le chef de l’Etat ne prend pas des dispositions fortes avec l’appui des députés français », a mis de son côté en garde l’éleveur Jérôme Bayle, figure de proue de la mobilisation de l’hiver dernier, invité par deux députés à l’Assemblée.
Sur le terrain, les agriculteurs continuent à multiplier leurs actions. A Strasbourg, une cinquantaine de tracteurs d’agriculteurs de la Coordination rurale (CR), le deuxième syndicat agricole, ont été bloqués par les forces de l’ordre à environ un kilomètre du Parlement européen, où ils souhaitaient dire leur opposition à l’accord.
« On nous interdit des insecticides, des herbicides, des semences OGM, des produits qu’on considère dangereux pour la santé humaine, et tous ces pays d’Amérique du Sud travaillent avec ça, à grand renfort de déforestation. C’est aberrant », a déclaré Cyril Hoffmann, venu de Côte-d’Or.
Dans le Gers, une quarantaine d’agriculteurs ont déversé des pneus, de la boue et de l’engrais devant le site de Danone à Villecomtal-sur-Arros, également à l’appel de la CR, avec l’intention de bloquer la plateforme pour la nuit, a constaté une photographe de l’Agence France-Presse.
De son côté, l’alliance majoritaire FNSEA-Jeunes agriculteurs (JA) a lancé partout en France de nouvelles actions jusqu’à jeudi, visant « tout ce qui entrave la vie des agriculteurs », notamment les administrations (préfectures, agences de l’eau, etc.), a précisé sur France 2 le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau.
A Lille, on pouvait lire « Stop les papiers, on en a marre » ou « Ras-le-bol » sur des pancartes accrochées à des tracteurs venus bloquer la cité administrative de Lille. A Perpignan, une centaine d’agriculteurs vêtus de noir ont défilé derrière un cercueil, jusqu’à la préfecture. Villeneuve-sur-Lot, un barrage filtrant a été installé par une dizaine de tracteurs sur un rond-point, où un véhicule transportant de la viande d’origine irlandaise a été bloqué. « Nous avons trouvé de la viande irlandaise dans un camion qui allait livrer McDo, a déclaré à un correspondant de l’AFP le coprésident des JA en Lot-et-Garonne, Aurélien Tuffery. Nous l’avons bloqué et nous demandons au responsable de McDo de venir s’expliquer. »
A la mi-journée, quelque 660 agriculteurs menaient une vingtaine d’actions dans 15 départements, selon le dernier bilan des autorités, qui évoque notamment des rassemblements à Rouen (Seine-Maritime) ou Laon (Aisne), un barrage filtrant à Poitiers et des opérations sur des plateformes logistiques de supermarchés comme à Saint-Quentin-Fallavier (Isère).
Moins d’un an après une mobilisation historique, les agriculteurs estiment n’avoir pas obtenu suffisamment d’avancées concrètes. Si les deux premiers syndicats partagent des revendications ? comme de pouvoir utiliser des pesticides aujourd’hui autorisés en Europe et interdits en France du fait de leur toxicité ?, ils occupent le terrain en ordre dispersé, dans un climat tendu à quelques semaines de leurs élections professionnelles.
La Coordination rurale, qui espère briser l’hégémonie de la FNSEA dans les chambres d’agriculture lors des élections de janvier, a multiplié les coups d’éclat, comme le blocage du port de Bordeaux, le saccage d’un bureau de l’Office français de la biodiversité dans la Creuse ou en perturbant un déplacement d’Arnaud Rousseau à Agen.
Loin du duel entre les deux premiers syndicats, la Confédération paysanne, troisième syndicat représentatif, continue aussi ses mobilisations contre le Mercosur, avec une action en Dordogne.