« Ce n’est pas pour moi ». Combien de fois cette phrase a-t-elle agi comme un obstacle pour un jeune à la croisée des chemins ? Au moment de choisir une orientation scolaire, de candidater à un emploi ou de lancer un projet, une grande partie de notre jeunesse se sent illégitime et renonce à ses désirs. S’il concerne tous les âges et toutes les classes sociales, ce phénomène d’autocensure est surreprésenté chez les jeunes des quartiers populaires et des zones rurales.
Selon une étude de la Fondation Jean Jaurès parue en novembre 2019, 51 % des jeunes ruraux choisissent des études supérieures qu’ils qualifient eux-mêmes d’« ambitieuses » – contre 67 % pour ceux résidant dans l’agglomération parisienne. De même, 61 % des premiers « estiment avoir confiance en eux lorsqu’ils pensent au futur » – contre 72 % des seconds.
D’après une enquête de la Fondation Mozaïk publiée en mars, ces barrières mentales touchent aussi les jeunes des quartiers populaires : 67 % d’entre eux ont déjà refusé de postuler à un emploi par peur de n’avoir « aucune chance d’être embauché ». Quel gâchis ! Et quelle atteinte à notre promesse républicaine. Celle qui, en principe fondée sur l’égalité des chances dans tous nos territoires, n’en finit plus de s’enfoncer dans l’élitisme et le déterminisme géographique et social.
Ce qui alimente en retour chez de nombreux jeunes le manque d’estime de soi et le sentiment de ne pas avoir les « codes » ou le réseau nécessaire pour mener à bien leurs ambitions. Et ce souvent dès le plus jeune âge, lorsque des expériences d’injustice et de discrimination, certaines affectations scolaires subies ou des problèmes de mobilité expliquent et accentuent cet état d’esprit.
C’est ce diplômé de La Castellane, à Marseille, qui cache son adresse ou son nom sur son CV avant de le transmettre à une entreprise. Ou cet étudiant de Plomelin (Finistère) qui ne passe pas un concours parce qu’il pense que les transports ne lui permettront pas d’y être à l’heure. Tout comme cette lycéenne de Pleumartin (Vienne) qui ne sait pas qu’elle peut intégrer Sciences Po. Et que dire de ce jeune d’Aulnay-sous-Bois qui pense que son projet entrepreneurial est voué à l’échec ?
Dans une France où l’ascenseur social est déjà bien grippé – en France, 6 foyers sur 10 parmi les plus modestes n’ont pas changé de catégorie sociale en 16 ans –, l’autocensure aggrave la situation. Or, celle-ci a plusieurs conséquences.