Non seulement nous ne connaissons pas Nicolas Delacour, mais nous n’avons, au mieux, qu’une idée vague du monde qui fut le sien : les villages d’Ile-de-France dans la première moitié du XVIIe siècle. Pour être franc, nous ne bouillons peut-être pas tous d’envie de les connaître mieux. Quand on veut être poli, on dit : affaire de spécialistes. Mais à quoi servent les spécialistes, et à quoi servent les livres, s’ils ne sont pas capables de nous intéresser à ce qui est loin de nous ?
De cette opération mystérieuse et vitale, Jean-Marc Moriceau, grand historien de la ruralité, s’est fait, précisément, une spécialité, comme s’en souviennent avec bonheur les lecteurs des trois tomes de ses Chroniques de la France des campagnes (Tallandier, 2018-2023), extraordinaire montage d’archives sur la France villageoise de 1435 à 1914, qui nous immergeait dans le quotidien de milliers d’inconnus.
Nouveau personnage de cette cohorte, Nicolas Delacour tranche cependant avec elle. Le livre que Jean-Marc Moriceau lui consacre a l’ampleur d’un tome des Chroniques…, mais son personnage central y concentre tout, comme si le monde dont il sert de révélateur tournait autour de lui. Ce n’était pourtant pas ce qu’on appelle un grand : c’était un laboureur de Maffliers, un village de l’actuel Val-d’Oise, devenu gruyer – officier forestier – et receveur de la baronnie locale – il se chargeait de percevoir les revenus des barons, dont il prélevait un pourcentage.
Moyennant quoi il s’enrichit et, par là, exerça sur le village et ses entours un pouvoir sans faille durant plus de cinquante ans, du début de 1614 à sa mort en 1668, « à 80 ans ou environ », disent les archives, sa date de naissance restant inconnue. Car rien de ce qui permet d’habitude de tracer la biographie d’un homme du passé, aucune pièce d’état civil, aucun inventaire, aucun livre de compte, n’est disponible.