Alors qu’un soleil franc se lève sur la lagune du Brusc, à l’extrémité est de Six-Fours-les-Plages (Var), les contours d’une île apparaissent. Des falaises dentelées, une végétation dense, et une tour ocre, perchée, qui ajoute au mystère. Pour s’en approcher, il faut prendre la mer depuis le petit port du Brusc. Sur la navette maritime siglée « Les îles Paul Ricard », la brise nous rappelle qu’on est en automne. Et déjà, une impression d’ailleurs, à mesure qu’on approche de l’île des Embiez, la plus grande de l’archipel du même nom, acquis par l’entrepreneur Paul Ricard en 1958. L’idée de cet enfant du pays, pionnier dans la protection de la Méditerranée : en faire une cité de loisirs et de vacances, mais aussi un lieu de préservation du milieu marin.
La Grande Bleue, ce jour-là, n’a jamais aussi bien porté son nom. Après dix minutes de mer, une forêt de mâts nous accueille à l’embarcadère : 750 bateaux sont amarrés au port Saint-Pierre, certifié « port propre » (ce qui implique notamment la récupération des eaux usées). Une dizaine de plaisanciers y vivent à l’année. L’île s’éveille doucement, dans un silence apaisant. Sur la place principale, restaurants et boutiques ont fermé leurs portes depuis la fin d’octobre. Impossible, jusqu’en avril, de dormir aux Embiez : l’Hôtel Hélios et les 150 appartements nichés derrière le port n’accueillent pas de visiteurs.
Hors saison, sur cette île d’à peine 1 kilomètre carré interdite aux voitures, c’est donc la nature qui reprend ses droits. Pour l’apprivoiser, on emprunte le sentier côtier sur 6 kilomètres. Après avoir laissé derrière nous les terrains de pétanque, on s’enfonce dans la pinède, à la pointe nord-est de l’île. Le chemin grimpe dans un paysage sauvage ; sous le joug des vents marins, les pins poussent ici penchés, leurs troncs gris clair semblant valser le long des falaises noires, prêts à plonger dans la mer. En contrebas, un couple de touristes s’est posé sur la discrète plage du Canoubié, loin des regards. Entre les chênes verts, le bâtiment kitsch d’un ancien hôtel, fermé depuis une dizaine d’années, fait une apparition fantomatique.
En redescendant, voilà que le décor change sans prévenir. Des bassins d’eau de mer reliés par des ponts de pierre et d’étroits chemins de terre : voici les anciens salins. Ici, pendant neuf siècles et jusqu’en 1938, l’or blanc fit la richesse de l’île. Aujourd’hui, c’est sur cette zone que l’Institut océanographique Paul Ricard a installé son laboratoire. Créé en 1966 par Paul Ricard et l’explorateur Alain Bombard, l’institut a pour but de « connaître, faire connaître et protéger les océans ». Une quinzaine de scientifiques y mènent des recherches en aquaculture et cherchent à préserver la biodiversité méditerranéenne.