L’intelligence artificielle (IA) remplacera-t-elle les médecins ? À cette question, qui alimente de nombreuses craintes, Charlotte Alliod oppose un « non » ferme et franc. Mais elle n’a aucun doute : « Elle leur permettra de soigner mieux et plus vite ! »
Depuis plus de quatre ans, cette chercheuse de 37 ans, docteure en sciences de la santé et spécialiste de l’IA, s’intéresse à une pathologie complexe : l’endométriose. Cette maladie gynécologique inflammatoire (1) très douloureuse, touche près de 10 % des femmes. Mais ses causes étant mal connues et ses formes très diverses, elle peine à être identifiée par les professionnels. Au cœur du département « Recherche&Innovation » de CapGeminini Engineering, l’équipe de Charlotte Alliod espère réduire le temps et le risque d’erreurs de diagnostic en misant sur la puissance des algorithmes.
« Quand je pense à tout ce qu’on peut faire avec ces calculs, c’est vertigineux », lance-t-elle dans un grand sourire. Ses yeux bleus écarquillés et son verbe légèrement précipité laissent deviner un enthousiasme à toute épreuve. « Plus jeune, je n’étais pas très bonne dans les matières scientifiques et ma famille n’avait pas la fibre : il en faut de la passion et de la motivation pour forcer le destin ! »
Originaire du pays de Gex, dans l’Ain, cette grande curieuse a toujours été « fan » des laboratoires mais a longtemps hésité pour choisir ceux qui lui conviendraient le mieux. Après une première année en pharmacie, « par hasard », elle décide de tester des études en biochimie, mais elle s’ennuie. L’étudiante croit enfin toucher son rêve du doigt en intégrant une école de police scientifique, en Suisse. Mais face à la difficulté de trouver du travail, elle fait marche arrière.
De retour en biochimie où elle se découvre, cette fois, une forme de vocation, Charlotte Alliod démarre une thèse consacrée aux « explosifs de demain », qui la fait doucement basculer vers la biotechnologie, discipline mêlant sciences de la vie, informatique et mathématiques. Sa mission ? Créer un algorithme capable de prédire si les futures molécules développées pourront être moins toxiques pour l’humain et la planète.
Ce premier contact avec l’intelligence artificielle est une révélation. Si bien qu’à l’automne 2019, elle est recrutée comme cheffe de projet chez Altran – devenu depuis CapGemini Engeniring – pour développer des projets de recherche mêlant IA et santé. La mission l’emballe.
Le sujet de l’endométriose émerge lors du premier brainstorming, quand une de ses collègues colle au mur ce post-it : « J’ai une amie qui en est porteuse et qui souffre beaucoup, j’aimerais qu’on puisse l’aider. » Après trois mois passés à « cartographier » cette maladie, Charlotte Alliod découvre son lot de problématiques : errance diagnostic, parcours médical complexe, difficultés à traiter la douleur… Pour elle, c’est une évidence : elle et ses collègues mettent leur énergie « au bon endroit ».
Son équipe se rapproche de l’hôpital de la Croix-Rousse, qui l’aide à affiner le protocole de recherche et met à disposition des professionnels motivés. L’établissement lui permet surtout d’accéder à 200 dossiers de patientes déjà diagnostiquées et prises en charge, des comptes rendus médicaux aux bilans opératoires en passant par les ordonnances ou les prises de sang.
Une fois anonymisées, ces précieuses données ont été utilisées pour entraîner un programme testé et ajusté en permanence. L’objectif : créer un système d’intelligence artificielle capable, à la simple lecture d’un dossier, de détecter la maladie. « Aujourd’hui, on estime que notre IA est aussi efficace qu’un médecin, mais plus rapide ! », résume Charlotte Alliod. La chercheuse imagine donc, à terme, la transformer en un outil.
« Les professionnels nous racontent qu’ils passent la moitié de leur consultation à essayer de comprendre le parcours de leurs patientes, souvent chaotique : en économisant ce temps, ils pourraient être plus disponibles pour les écouter et les accompagner dans le soulagement de la douleur. »
Alors qu’un premier article scientifique est en cours de rédaction, deux autres projets ont déjà été lancés : Endoview pour mieux identifier les lésions sur les images IRM et Endocare, pour évaluer l’état psychologique des patientes.
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« Alors qu’on en parlait très peu il y a quelques années, le sujet de l’endométriose prend enfin de l’ampleur. On s’y intéresse, on l’étudie, et on agit de toutes parts. À Lyon, les Hospices Civils ouvrent des hôpitaux de jours dédiés et la start-up Ziwig a mis au point un test salivaire. À Bordeaux, la clinique Tivoli ne cesse d’innover. Il y a une vraie émulation ! Savoir qu’on n’est pas tout seul et qu’on ne fait pas ça pour rien, cela me guide et me motive. Surtout quand je pense à toutes mes copines qui ont été diagnostiquées et que je vois souffrir au quotidien. »