Depuis sa condamnation en première instance, le 31 mars, à quatre ans de prison et cinq années d’inéligibilité immédiatement applicable pour détournement de fonds publics, Marine Le Pen a pris la justice pour cible. Adoptant une posture tour à tour agressive et victimaire, elle tente d’accréditer l’idée que de prétendus « juges rouges » se sont immiscés dans le processus électoral pour lui barrer la route, empêcher ceux qu’elle représente de la porter à l’Elysée et fausser les règles du jeu démocratique.
Attaques en règle contre le « système », mise en cause des « élites » accusées de « s’habituer assez tranquillement à la tyrannie », invention d’une catégorie de « sous-citoyens » qu’on voudrait priver du droit de vote : tout un imaginaire que le Rassemblement national (RN) avait soigneusement remisé resurgit pour tenter d’accréditer l’idée que la souveraineté populaire a été bafouée et que cette injustice appelle réparation.
La démarche, de nature populiste, vise à alimenter le ressentiment, à décrédibiliser l’institution judiciaire, à ébranler l’Etat de droit. Le doute est d’autant moins permis que, intervenant, dimanche 6 avril, à Paris, devant des supporteurs que le RN avait cherché à mobiliser, la triple candidate à l’élection présidentielle a tenu à remercier les « personnalités étrangères » qui lui ont apporté leur soutien.
Dans cette galaxie de figures de l’extrême droite et d’illibéraux, Donald Trump figure en bonne place. Le président des Etats-Unis avait appelé, jeudi, à « libérer » Marine Le Pen et dénoncé une « chasse aux sorcières » destinée à l’empêcher de remporter l’élection présidentielle de 2027 – expression qu’elle a reprise elle-même dimanche.
La tentation trumpiste se heurte cependant à deux freins : jugé erratique et dangereux, Donald Trump est impopulaire en France au point que la dirigeante du RN avait, jusqu’à présent, pris soin de s’en tenir éloignée. Dimanche, elle a usé de la même rhétorique que lui, mais dans un style plus policé, appelant à la « résistance pacifique et démocratique, populaire et patriote », pour ne pas donner l’impression d’une volonté de coup de force.
Ensuite, et c’est le second frein, une large majorité de Français ne s’émeuvent guère de la peine qui vient d’être prononcée contre elle. Car les faits sont têtus : Marine Le Pen a bel et bien été reconnue coupable de détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Front national, un système qu’elle a personnellement géré dans la foulée de son père et dont le préjudice est estimé à plus de 4 millions d’euros. Dûment motivée, sa condamnation découle de lois votées à la quasi-unanimité par les représentants du peuple. Elle sanctionne un mode de défense de bout en bout particulièrement désinvolte.
Ayant pris connaissance de la date de son procès en appel, programmé pour l’été 2026, Marine Le Pen aurait pu changer de système de défense. Elle a au contraire choisi de persister dans sa charge contre les juges tout en prétendant, par un effet d’inversion accusatoire, être celle qui rétablira un jour l’Etat de droit aujourd’hui bafoué.
Ce procédé de renversement du discours était audacieux. Il est devenu indécent lorsque la représentante de l’extrême droite s’est comparée à Martin Luther King, le pasteur noir américain assassiné, en 1968, pour s’être battu contre le racisme et pour les droits civiques. Il est vrai que Donald Trump avait lui-même utilisé la référence à Martin Luther King dans son discours d’investiture, le 20 janvier.