En 2002, le politologue américain Robert Kagan a publié dans la revue conservatrice Policy Review, sous le titre Power and Weakness (« puissance et faiblesse »), un long essai prenant le contre-pied de la doxa occidentale selon laquelle l’Europe et les Etats-Unis partagent la même vision du monde. Rien n’est plus faux, à l’orée du XXIe siècle, affirme-t-il : l’Europe s’est détournée de la puissance. Elle est entrée dans un « paradis posthistorique de paix et de relative prospérité, concrétisation de la paix perpétuelle de Kant ». Les Etats-Unis, en revanche, arc-boutés sur l’histoire, « exercent la puissance dans l’anarchie d’un monde hobbesien » où la sécurité « dépend de la possession et de l’utilisation de la force militaire ». Autrement dit, résume-t-il, « les Américains sont de Mars et les Européens sont de Vénus ».
La thèse de Robert Kagan, développée l’année suivante dans un livre traduit en vingt-cinq langues (Plon, 2003), a autant séduit que celle de la « fin de l’histoire », de Francis Fukuyama (La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, Flammarion, 1992), après la chute du mur de Berlin.
Dix ans plus tard pourtant, en 2013, certains ont pu se demander si les rôles ne s’étaient pas inversés lorsque Washington a abandonné la France en rase campagne. Le 31 août, alors que Français et Américains s’apprêtaient à mener conjointement des frappes sur des sites militaires en Syrie pour punir Bachar Al-Assad d’avoir utilisé des armes chimiques contre sa population, le président Barack Obama a renoncé, contraignant l’état-major français à annuler une opération qu’il ne pouvait mener seul.