Après l’orage, une pluie d’échanges. Après un samedi soir marqué par une virulente tempête, qui a précipité la fin des festivités, intervenants et spectateurs étaient bien de retour, revigorés, pour la dernière journée du Festival international de journalisme 2025, dimanche 13 juillet.
L’événement organisé par le Groupe Le Monde (Le Monde, Courrier international, le HuffPost, Télérama et La Vie) et L’Obs, qui se tient chaque année à Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), un village de 360 habitants en bord de fleuve, a rassemblé entre 9 000 et 10 000 personnes sur trois jours.
Au milieu des 250 conférences, ateliers ou spectacles, il a fait la part belle aux rencontres avec des non-francophones : en témoignent celles de dimanche avec Ann Telnaes, dessinatrice de presse américaine, qui a démissionné en janvier du Washington Post à la suite de la censure de l’un de ses dessins, et l’activiste canado-américain Paul Watson, fondateur de l’ONG Sea Shepherd.
L’un des fils rouges du festival a donné la parole à des journalistes étrangers, mais qui travaillent depuis la France. Lors des rencontres quotidiennes du « club des correspondants », menées par Courrier international, ils ont abordé leur vision du concept très français d’outre-mer, ou de la figure diplomatique d’Emmanuel Macron.
Après l’idylle de 2017, quand les médias allemands le présentaient comme « une rock star qui libérait l’Europe des nationalismes », selon Annika Joeres, correspondante de Die Zeit en France, les médias européens ont ensuite souligné sa volonté parfois caricaturale de se présenter en diplomate en chef de l’Europe. « Macron parle souvent au nom des Européens mais on se demande à quel titre il peut le faire, et ce n’est pas suivi par des résultats tangibles », estime Stefano Montefiori, correspondant à Paris du Corriere della Sera, premier journal italien. « Sa ligne diplomatique reste le seul sujet où il est assez populaire, ajoute Paul Ackermann, correspondant à Paris du quotidien suisse Le Temps. Mais personne n’écoute car il paie la faiblesse du poids de la France et de l’Europe dans le monde d’aujourd’hui. »
Dimanche, leur regard était interrogé sur les violences sexistes et sexuelles, dans la suite des nombreuses affaires (Depardieu, Pelicot, Bétharram, Le Scouarnec) qui ont été couvertes par des médias du monde entier. « Il y a une libération de la parole qui a été plus grande en France qu’ailleurs en Europe », en Suisse ou en Allemagne, estime Paul Ackermann. Pendant longtemps, « il y a eu énormément d’impunité sur le sujet en France, qui est un pays conservateur qui a mis beaucoup de temps à se réveiller », juge de son côté Adeline Percept, journaliste à la RTBF.
Ces correspondants ont aussi pu décrire la vie politique hexagonale, et les crises qui traversent notre société. « Je remarque un certain immobilisme dans la politique française, on ne va pas arriver maintenant à régler des problèmes qui durent depuis des dizaines d’années, juge Stefano Montefiori. On a l’impression qu’on attend 2027. »
La politique était d’ailleurs l’objet de l’une des thématiques du festival, qui a beaucoup attiré : « Faut-il changer de République ? » Lors des conférences de ce cycle, comme lors des débats évoquant l’Amérique de Donald Trump, ou des rencontres avec des journalistes racontant leurs enquêtes, tel Fabrice Arfi de Mediapart, il était fréquent de ne pas pouvoir trouver de siège, ni même de botte de paille, pour s’asseoir au milieu des jardins et des champs du village.
La thématique politique a notamment questionné la désaffection des Français envers cette matière. « Je ne crois pas qu’il y ait un désintérêt politique mais un problème avec l’élection et la représentation, a développé Bastien François, professeur de sciences politiques à l’université Paris-I. On n’a jamais vu de tels niveaux de défiance en vingt ans, et il y a une tendance récente qui est que les abstentionnistes viennent davantage qu’avant des catégories supérieures et cultivées. »
Des ateliers menés durant trois jours avec des festivaliers intéressés par le sujet, rassemblés dans une « convention citoyenne », ont abouti dimanche à la présentation de propositions pour repenser les institutions, en tenant compte de l’ensemble de la société.
Renouer le dialogue entre l’ensemble des Français est d’ailleurs la question qui a le plus parcouru cette édition du festival. Dans une France divisée, peut-on encore débattre ? Salhia Brakhlia et Thomas Snégaroff, journalistes audiovisuels habitués aux débats, se sont inquiétés de la multiplication des hommes et femmes politiques qui remettent en question la crédibilité des journalistes, alors même qu’ils les confrontent à des faits avérés.
Ils ont aussi expliqué la manière dont ils tentent d’éviter le clash, omniprésent sur les chaînes d’information en continu, notamment lorsqu’ils composent leurs plateaux d’invités. « Le clash est un débat stérile, qui ne produit rien. J’essaie de créer une conversation apaisée, comme un dîner dont je serais l’hôte, explique Thomas Snégaroff. Mais attention, la conflictualité peut être porteuse de progrès ! »
Là aussi, le public était nombreux, mais bien conscient qu’il est plus facile de débattre dans un certain entre-soi, avec un public à l’âge moyen assez avancé et aux sensibilités souvent à gauche. « Vous prêchez devant une population déjà convertie, il n’y a pas vraiment de contradicteurs », lance un festivalier aux intervenants de cette table ronde sur le thème du débat. Réponse du tac au tac de Laélia Véron, linguiste et chroniqueuse sur Radio Nova : « Vous êtes venu écouter un débat et pas un clash, c’est peut-être pour ça que vous êtes venu aussi. »