A la veille de l’offensive russe de 2022, cela faisait six ans que mon restaurant à Odessa existait. Malgré le conflit qui menaçait déjà le pays, j’avais une belle vie, avec mon bistrot, ma cuisine, ma famille, qui vit là depuis quatre générations. Et puis la guerre a éclaté. Nous avons traversé un hiver sans électricité, les gens ont commencé à fuir, les Russes se préparaient à nous envahir. Toutes les nuits, il fallait se mettre à l’abri au sous-sol, aller chercher ma mère pour qu’elle s’abrite aussi. J’ai perdu le sommeil, le goût des choses, perdu la lumière au bout du tunnel.

Après deux ans, j’ai décidé de quitter le pays, pour essayer de refaire ma vie et ma carrière ailleurs. J’ai laissé ma mère et mon restaurant derrière moi. Je sais que ma mère ne voudra jamais quitter son pays – c’est sa langue, sa culture, ses amis, son marché. Elle ne serait heureuse nulle part ailleurs. Mais, moi, j’avais besoin de partir.

Je suis d’abord retournée en France, où j’avais appris la cuisine à l’école hôtelière Ferrandi, à 18 ans. J’ai passé un peu de temps à Paris, puis à Nice. Mais je n’avais pas la force de redémarrer ni de m’installer pour de bon. Je ne pouvais rien faire de durable ou de permanent, il fallait d’abord que je panse mes plaies, que je prenne soin de moi. C’était la troisième année de la guerre en Ukraine. J’ai eu une petite activité de traiteur, des événements caritatifs, j’ai participé au Refugee Food Festival, ce qui pour moi a été très symbolique et puissant.

Puis j’ai déménagé à Londres. Cela fait quatre ans que la Russie pilonne mon pays. Je travaille comme sous-cheffe dans un restaurant londonien qui s’appelle Brat. En gallois, cela signifie « turbot ». En ukrainien, cela veut dire « frère ». Parfois je participe à des dîners de charité pour lever des fonds en faveur de l’Ukraine. J’espère pouvoir en faire plus…

L’une des choses que la guerre nous a apprises, c’est que prévoir, faire des plans, c’est un peu ridicule. J’ai des projets, mais c’est plutôt une direction vers laquelle je tends. Une chose que je sais : il n’y a rien qui me rend plus heureuse que cuisiner. J’aime le faire au restaurant comme à la maison, pour les autres et pour moi, et préparer des plats de saison qui me rappellent ma région. Comme cette salade estivale aux tomates anciennes, juteuses, avec de la salicorne – qui pousse en quantité aux abords d’Odessa sur les rives de la mer Noire – sur une purée de maïs, symbole de l’Ukraine, doux et réconfortant.

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