Depuis quelques années, des chercheurs et des professionnels de terrain désireux de modifier les comportements familiaux vis-à-vis des écrans, et de forcer la décision publique, ont adopté un langage de combat. Le sujet voit alors s’installer un récit univoque fondé sur la peur, jugée seule capable de provoquer les changements souhaités.
Cela a commencé le 8 février 2013. Une tribune au Monde, signée par plusieurs scientifiques, attaque l’avis de l’Académie des sciences intitulé « L’enfant et les écrans », en particulier la présentation qu’il ferait des travaux de la chercheuse Linda Pagani. La tribune cite l’avis ainsi : « Au-delà de deux heures par jour passées devant un écran non interactif par un enfant en bas âge, et pour chaque heure supplémentaire, il a été noté une diminution de 6 % sur les habiletés mathématiques à 10 ans. »
La tribune, à charge, affirme y voir la preuve de l’incompétence de l’Académie et prétend rétablir la vérité : ces chiffres seraient, en réalité, mesurés dès la première heure et par semaine, ce qui provoquerait des retards de développement de 42 % pour chaque heure de télévision quotidienne en plus ! Une interprétation démentie par la chercheuse elle-même, qui confirme : « Chaque heure supplémentaire de télévision par jour au-delà de la moyenne », donc ni par semaine ni dès la première heure. Mais le message de peur a été relayé, et l’avis raisonné de l’Académie des sciences disqualifié.
Un second épisode de cette stratégie concerne la publicité donnée en 2015 à quelques dessins d’enfants publiés en 2006 par le pédiatre autrichien Peter Winterstein. Il en avait recueilli quelque 1 500, tout en notant le temps d’écran quotidien de chaque enfant, sans autre précision. Quatre de ces dessins, très peu structurés, et associés à des enfants « regardant la télévision plus de trois heures par jour », ont été largement relayés par des chercheurs comme preuve de l’impact terrible des écrans.