« Où sont les racistes maintenant ? Sûrement encore en train de célébrer [la qualification] ! » Sur son compte X, au lendemain de la victoire de l’Angleterre face à la Suisse en quarts de finale de l’Euro (1-1, 5 tirs au but à 3), Rio Ferdinand savoure cette revanche du destin. L’ancien international anglais (81 sélections), désormais consultant pour la télévision britannique, accompagne sa publication d’une photo des Three Lions qui ont converti leur tir au but. Parmi eux, quatre joueurs noirs, dont Bukayo Saka.
L’ailier de 22 ans avait été la victime de nombreuses insultes racistes sur les réseaux sociaux à l’issue de la finale de l’Euro 2021 perdue à Londres face à l’Italie, aux tirs au but (1-1, 2-3 t.a.b.). Il avait raté sa tentative lors de la séance fatidique, comme Jadon Sancho et Marcus Rashford, également visés par ce déferlement de haine. « Je suis tellement fier de ce gars ! Bukayo Saka, tu l’as fait pour moi et Marcus, mon frère », a écrit sur Instagram Jadon Sancho, non retenu pour cet Euro, après la victoire anglaise contre la Nati.
Après la qualification pour la demi-finale, que les Anglais disputeront face aux Pays-Bas, mercredi 10 juillet à Dortmund, le journal britannique The Times s’interrogeait sérieusement sur la difficulté des joueurs de Gareth Southgate dans le jeu et leur habileté depuis le point de penalty : « Peut-être que nous devrions viser les séances de tirs au but. » Cet exercice dont sont sortis vainqueurs les Anglais contre la Suisse illustre à la fois l’une des grandes réussites du mandat du sélectionneur et l’ambiance tendue qui règne autour de son équipe depuis quelques jours.
Profondément marqué par son échec en demi-finales de l’Euro 1996 contre l’Allemagne – son tir au but raté avait provoqué l’élimination de l’Angleterre –, Gareth Southgate est tout ce que refuse d’être Didier Deschamps sur le sujet des tirs au but, à savoir un entraîneur qui rationalise et prépare cette pratique dans les moindres détails. Depuis son arrivée à la tête des Three Lions en 2016, il s’en est remis à des études sur le sujet, s’est approché de spécialistes comme le professeur à la London School of Economics, Ignacio Palacios-Huerta, et ses joueurs travaillent les penaltys régulièrement, tant sur le plan technique que psychologique.
Mais ces derniers jours, l’attaché de presse de la Fédération anglaise de football a empêché les joueurs Marc Guéhi et Ezri Konsa de répondre aux questions des journalistes sur cette préparation spécifique. Après son arrêt devant Manuel Akanji lors de la séance des tirs au but contre la Suisse – bien aidé par des antisèches collées sur sa gourde –, Jordan Pickford n’a pas non plus été autorisé à s’exprimer sur le sujet.
Cette entrave illustre le climat de défiance qui règne autour de la sélection. Celle-ci s’est accentuée pendant l’Euro, à la faveur des performances jugées décevantes des Three Lions. Depuis le début de la compétition, l’Angleterre ne s’est créé que 4,3 expected goals (« buts attendus », xG), un outil statistique qui mesure le nombre de buts qu’aurait dû marquer une sélection, en fonction de la dangerosité des tirs tentés. C’est moins que l’Espagne (10,2 xG), la France (7,9 xG), les Pays-Bas (7,4 xG) et huit autres sélections déjà éliminées.
Le trio offensif redouté, composé de Phil Foden, Jude Bellingham et Harry Kane, continue de décevoir. Comme un symbole, c’est l’attaquant le moins attendu, Bukayo Saka, qui a égalisé contre la Suisse en fin de match, alors que l’Angleterre se dirigeait vers une élimination. Et en dépit de résultats probants ces dernières années – demi-finale de la Coupe du monde 2018, finale de l’Euro 2021, quart de finale du Mondial 2022 –, Gareth Southgate est de nouveau la principale cible des critiques.
Après le match nul contre la Slovénie lors de la phase de groupes (0-0), certains supporteurs anglais présents dans les tribunes l’avaient visé avec des gobelets en plastique. « Il n’a jamais été aussi tendu et frustré qu’aujourd’hui », assure Jacob Steinberg, journaliste au Guardian, qui couvre l’actualité des Three Lions. En conférence de presse, Gareth Southgate, dont les clignements des yeux trahissent un malaise, se montre de plus en plus distant avec les journalistes.
« J’ai de la chance que ma vie m’ait permis d’acquérir beaucoup de résilience et je m’en sers comme d’un carburant », assure le sélectionneur anglais, qui se félicite de voir que ses joueurs sont capables de faire de même. « Jouer pour l’Angleterre est une grande fierté, mais aussi énormément de pression parce que les supporteurs attendent beaucoup de nous et parlent beaucoup. C’est sympa de pouvoir leur répondre comme ça », savourait Jude Bellingham après la victoire à l’arraché contre la Slovaquie en huitièmes de finale (2-1, après prolongation). Contre les Pays-Bas, les Lions espèrent y parvenir de nouveau, avec ou sans les tirs au but.