« Associer deux éléments familiers permet de créer de la nouveauté. » Ce matin d’octobre 2019, Daniel Roseberry tourne cette idée dans sa tête depuis son studio de création installé sous les toits du 21, place Vendôme, à Paris. Le Texan trentenaire a été nommé directeur artistique de Schiaparelli six mois plus tôt. Pour sa première collection haute couture, présentée en juillet, il a choisi de proposer un vestiaire baroque nourri par son goût personnel. Cette distance vis-à-vis de l’héritage surexploité par ses prédécesseurs lui a permis de réveiller l’intérêt pour la marque fondée en 1927 par Elsa Schiaparelli (1890-1973).
L’Américain sait pourtant que, pour durer, il faudra bien renouer avec le passé. Ce jour d’automne 2019, plongé dans l’élaboration de sa deuxième collection, il s’interroge : quel élément historique pourrait-il réinterpréter ? Le goût pour l’anatomie d’Elsa Schiaparelli, qui avait conçu une broche en forme de bouche ou une robe squelette ? Non, les modèles sont trop connus, rebattus. A l’heure du déjeuner, dans le silence de l’atelier déserté par son équipe, il esquisse sur un petit papier une molaire dont les racines enserrent une perle. Le dessin, qui évoque à la fois le corps humain et un élément symbolique de la haute couture, lui plaît. Mais l’idée d’en faire une broderie ne le satisfait pas. « Soudain, dans ma tête, tout s’est éclairé, se souvient-il. J’allais en faire un bouton comme un bijou et m’en servir pour évoquer l’héritage surréaliste. »
Le trait le plus saillant de Schiaparelli est sans conteste la proximité de la fondatrice avec les artistes surréalistes : dans les années 1930, elle conçoit avec le peintre Salvador Dali (1904-1989) un chapeau en forme d’escarpin ou une robe blanche ornée d’un immense homard. Avec l’écrivaine Elsa Triolet (1896-1970), elle imagine un collier Aspirine qu’on dirait composé de cachets, tandis que le poète Jean Cocteau (1889-1963) lui dessine des visages sur une veste ou une broche en forme d’œil. Certains artistes élaborent aussi pour elle des boutons dont elle se sert comme ornements sur des vestes. Ces collaborations glorieuses ont fait de Schiaparelli l’une des marques les plus influentes de l’entre-deux-guerres, mais l’ont en même temps enfermée dans un registre restreint.