Depuis les résultats des élections législatives, dimanche 7 juillet, de nombreux électeurs du Rassemblement national (RN) s’étonnent que le parti d’extrême droite ne devienne que la troisième force politique à l’Assemblée nationale alors qu’il a réuni plus de suffrages que les autres.
Dans un message retweeté plus de 3 000 fois, le compte souverainiste Cercle Aristote écrit ainsi : « NFP [Nouveau Front populaire] : 7 millions de voix, 180 sièges. RN : 10 millions de voix, 143 sièges. » Dans un autre message, il avance : « Ici, le parti majoritaire obtient le troisième nombre de députés. On tord le système. »
Des chiffres similaires sont soulevés par l’ancien candidat souverainiste à la présidentielle et adepte des théories du complot François Asselineau : « Le nombre d’électeurs RN & alliés est 44 % supérieur au nombre d’électeurs du Nouveau Front populaire. »
Le Rassemblement national se considère également vainqueur de ces élections, mettant en avant le nombre de bulletins récoltés plutôt que son nombre d’élus : « Le RN reste en tête avec plus de 10 millions de voix. » Et Jordan Bardella de renchérir que son parti représente « la première force politique du pays avec 10 millions de voix et 37 % des Français qui [lui] ont accordé leur soutien ».
Loin d’être une « magouille électorale », ces grandes différences entre la part des voix et le nombre de députés élus s’explique par plusieurs facteurs. Tentons d’y voir clair.
D’abord, rappelons que les élections législatives françaises n’ont pas un mode de scrutin proportionnel, mais 577 élections (dans chacune des circonscriptions) au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Il est donc logique, au vu du mode de scrutin actuel, que l’Assemblée ne soit pas le reflet exact de l’opinion publique. La proportionnelle n’a été utilisée qu’une seule fois pour élire les députés sous la Ve République, en 1986, et si plusieurs formations politiques militent pour son rétablissement (au moins partiel), cette idée ne fait toujours pas l’unanimité.
Les chiffres largement partagés sur les réseaux sociaux mettent en parallèle deux grandeurs distinctes :
— d’une part la somme des voix obtenues par les candidats au seul second tour ;
— d’autre part le nombre total d’élus alors que certains l’ont été dès le premier tour (76 en tout), les autres à l’issue du second tour (501).
Or d’un tour à l’autre, l’offre politique a été nettement modifiée par l’émergence du front républicain. En tout, 224 candidates et candidats ont renoncé à se présenter malgré leur qualification au second tour et, mécaniquement, ce sont des millions de voix en moins pour les partis qu’ils représentent. Pour ce second tour, un candidat RN ou Les Républicains-RN était engagé dans 442 circonscriptions, contre seulement 285 pour le NFP et 241 pour Ensemble.
Localement, la réduction de l’offre politique s’est faite au détriment du RN, les candidats du front républicain ayant pu bénéficier du report des voix des autres forces politiques. Les candidats du RN et LR-RN ont gagné « seulement » 94 duels sur les 353 où ils étaient représentés, dimanche 7 juillet. Si ces désistements ont permis à l’alliance de gauche et à la coalition présidentielle de battre le RN dans de nombreuses circonscriptions, ils ont aussi mécaniquement fait baisser le nombre de voix de chacune de ces nuances.
Pour analyser ces élections correctement, il faut également tenir compte des disparités démographiques entre circonscriptions qui induisent des écarts de voix considérables chez les députés élus. Par exemple, la 3e circonscription de Vendée regroupe 29 fois plus d’habitants que la moins peuplée, celle de Saint-Pierre-et-Miquelon. Pourtant, chacune offre bien un seul siège à l’Assemblée nationale.
Avec le fonctionnement du vote par circonscription, un candidat peut donc être élu en remportant moins de voix qu’un autre qui se présente dans une circonscription différente. Ainsi, dans la 5e circonscription de la Gironde, Grégoire de Fournas (RN) est défait face à la candidate du NFP, alors qu’il réunit 39 656 voix, soit 10 000 voix de plus que Denis Fégné du NFP qui s’impose dans la 2e circonscription des Hautes-Pyrénées, devant son opposant du RN. Le poids démographique a ainsi agi sur la plus grande quantité de voix allant au RN, sans pour autant se retrouver dans le nombre d’élus.