Année 1961. Un jeune homme de 22 ans plein de détermination pose ses bagages dans une chambrette du quartier Yanaka, dans le nord de Tokyo. Il vient de quitter Hiroshima pour rallier la capitale, afin de réaliser son rêve de devenir mangaka à temps plein. Keiji Nakazawa (1939-2012) ne tenait plus en place dans cette ville où il est né en 1939 et a grandi. Le jour, il travaillait à la réalisation de panneaux publicitaires, et le soir il s’adonnait à la bande dessinée, tentant de coucher sur une quinzaine de planches des histoires pour participer à des concours organisés par les maisons d’édition tokyoïtes. En franchissant les portes de sa nouvelle vie, le garçon scelle son passé : ne jamais parler à quiconque de son vécu de hibakusha, de survivant de la bombe atomique.
« A Tokyo, les gens vous regardaient bizarrement si vous en parliez, alors j’ai appris à me taire. Beaucoup de Japonais craignaient encore, de manière irrationnelle, d’“attraper” la maladie des radiations des victimes de la bombe atomique », confiera-t-il, en 2003, à The Comics Journal. Gen d’Hiroshima, son manga fleuve – dessiné entre 1973 et 1985 – est pourtant largement inspiré du vécu de l’auteur, témoignage qu’il a maintes fois renouvelé avec force détails, lors d’entretiens, jusqu’à peu avant sa mort, en 2012.