« Une lycéenne d’aujourd’hui serait moins surprise que moi si elle croisait Charles Baudelaire graillant des frites »

Je me souviens d’avoir fait jadis, au lycée, un exposé sur les femmes qui inspiraient Baudelaire. Evidemment, il y était surtout question de vénération et de domination. A l’époque, je trouvais cela fascinant. Quand bien même la jeune fille que j’étais aurait été parfaitement dégoûtée de croiser un type aussi tordu.

Le temps a passé. De toute évidence, une lycéenne d’aujourd’hui n’éprouverait nulle fascination pour le sort littéraire réservé à Mme Sabatier, à Jeanne Duval ou à Marie Daubrun. Elle ne tomberait pas dans le panneau.

Et serait moins surprise que moi si elle croisait, à l’occasion, Charles Baudelaire, déambulant sur un boulevard, graillant des frites en cornet, en mode BG, entouré de filles des plus populaires, dans une ambiance McDo réjouissante.

Dans ses Souvenirs (1890), Théodore de Banville décrit en effet Charles flânant, vêtu « comme un seigneur », humant « le soleil d’été sur le quai d’Anjou, tout en croquant de délicieuses pommes de terre frites, qu’il prenait une à une » dans « un cornet ». On n’imaginait pas le poète tout droit sorti d’une chanson de Joe Dassin.

Nous aurait-il menti ? L’homme et l’œuvre… si différents ?

Banville continue : des jeunes femmes « dont les toilettes riantes ressemblaient à un triomphe de fleurs (…) s’amusèrent beaucoup de voir ainsi le poète picorer librement sous le ciel » et voulurent goûter. Ainsi l’écrivain leur fit-il « les honneurs de son cornet de pommes de terre frites avec une grâce suprême ».

Peut-être ai-je été un peu rapidement trompée par l’ambiance spleen, benjoin, vin et parfums capiteux de ses poèmes. Je le pensais flacon, le voilà cornet. Je le voyais poison, le voici graillon. Est-ce la fin d’un mythe ? Ne nous hâtons pas. Et si cette notation biographique était en fin de compte cohérente ?

Il y a dans le cornet de frites un art baudelairien du débordement, de l’accumulation qui n’est pas sans rappeler « Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,/De vers, de billets doux, de procès, de romances,/Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances ». Mais en plus joyeux.

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