C’est une entreprise d’un autre temps. Entamée il y a presque quinze ans, la publication des Œuvres complètes du philosophe français Georges Canguilhem (1904-1995) est aujourd’hui achevée. Six forts volumes, quelque dix mille pages, des découvertes à n’en plus finir. L’homme était connu, l’œuvre était ignorée, du moins dans son ampleur et dans sa diversité.
On savait que ce normalien, élève d’Alain, condisciple de Sartre et de Nizan dans les années 1920, agrégé de philosophie devenu docteur en médecine, héros de la Résistance, avait marqué l’histoire de l’institution philosophique en France, comme inspecteur général, président du jury de l’agrégation et successeur de Bachelard à la Sorbonne, où il était redouté – non sans raison ; ses jugements tranchants étaient effectivement redoutables. En tant que chercheur, il était connu pour ses travaux en histoire des sciences. Sa thèse, La Formation du concept de réflexe aux XVIIe et XVIIIe siècles (1955 ; Vrin, 1999), faisait référence, son livre Le Normal et le Pathologique (PUF, 1966) était un classique.