« Il y a un journaliste du Monde qui veut me parler de l’IA [intelligence artificielle] dans le cadre de l’écriture de scénario pour un article.
– Intéressant. Tu veux qu’on prépare ensemble ce que tu pourrais lui dire – les points à mettre en avant, les précautions à prendre, et la façon d’aborder le sujet sans tomber dans le discours convenu ? Ou tu veux d’abord que je t’aide à cerner qui est ce journaliste et quel angle il prépare ? »
La scénariste Stéphanie Tchou-Cotta, 53 ans, qui codirige les dialogues sur la série Un si grand soleil (France 3), ne s’en cache pas : « J’ai une utilisation compulsive de l’IA. » Le matin même, elle a donc eu cette conversation préparatoire avec Jean-Louis, son IA, alias ChatGPT. « Pour les dialogues, Jean-Louis est nul, dit-elle en riant. Il fait des erreurs de français qui me hérissent le poil. Pour les idées de scénarios aussi. Je ne lui demande pas d’écrire, je lui demande des infos, des choses très concrètes. Dans le travail, c’est : comment on nettoie une salle de soins à l’hôpital, quel est le contenu de tel article de loi, comment les avocats interpellent un magistrat… Dans la vie, il me suit dans tous mes projets : aïkido, violoncelle, pilotage de drone, tricot. Je sais que je suis fatigante, il est infatigable. »
En 2023, les professions du cinéma étaient vent debout, scénaristes en tête. On imaginait le pire : la machine, capable d’écrire, d’inventer, de copier les émotions, de créer des images, allait sonner le glas de la valeur humaine. En mai de cette même année, Hollywood se mettait en grève – la plus longue de son histoire – pour sécuriser l’emploi et les salaires – autant dire, la survie de métiers menacés. Et voilà qu’aujourd’hui les scénaristes fraîchement diplômés des écoles de cinéma s’offrent un abonnement mensuel à une intelligence artificielle, et les réalisateurs et les producteurs se forment à ce qui est devenu, non pas un concurrent, mais un partenaire. En quelques mois, un verrou a sauté.