La chronique « poches vers l’ailleurs » de François Angelier : Georges Vigarello, Alexandre Dumas, Joseph Conrad

L’an 1598, les Hollandais mirent à la voile une société de commerce dont le but était d’exploiter le marché des Indes orientales, les Indes occidentales ayant été raflées par ces papistes d’Espagnols et de Portugais. Vertigineux, le nom de ladite société pose au mieux la question des ailleurs : La Compagnie des lointains. Faire sien le lointain, assujettir l’ailleurs et tenter d’y faire du fruit. C’est cette double histoire, poétique et économique, que nous détaille, superbe cahier d’images à l’appui, Georges Vigarello, historien du corps violent (de la crasse à la fatigue, du viol au sport), taillant la route sur deux millénaires et plus. Car si l’humain vit dans l’ici-bas, songeant longtemps à son sort dans l’au-delà, c’est le « par-delà » qui l’a de longtemps obsédé. Qu’y a-t-il là-bas, derrière cet horizon qui se défile en permanence, ces forêts opaques ou ces cimes embrumées, que nous cachent ce cap infranchissable, ce détroit défendu par la lame, ces zones glacées ou ces espaces calcinés ?

Depuis les incursions antiques et médiévales, portées par une image mythique de la Terre et révélatrices d’un bestiaire fabuleux et de peuplades insolites, jusqu’à la tragédie des migrations actuelles, Vigarello détaille tous les affects suscités par le sentiment de l’ailleurs : la frayeur et la stupeur, puis la douleur et les souffrances mortelles longtemps inhérentes à l’acte d’explorer, la curiosité et ses cabinets qui meuvent à la Renaissance et durant les Lumières expéditions militaires et missions savantes, le sublime romantique, l’accessibilité et la rentabilité qui dissolvent l’ailleurs dans la connaissance et la domination coloniale. Les cartes dès lors tiennent le monde en joue. Si « le spectacle de ces espaces indéfinis » a longtemps effrayé l’humain, l’idée d’un monde fini, celui que Valéry évoquait en 1937, lui est insupportable : commence alors l’« arrachage » vers un cosmos, viable ou pas. Une formidable histoire du rêve et de l’audace : l’être humain est un insatisfait, c’est là son moindre défaut.

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