« Histoire naturelle de la fiction », d’Edgar Dubourg : la chronique « essai » de Roger-Pol Droit

Emma Bovary, on s’en souvient, s’installe à Yonville. Le problème est que ce village de Normandie n’existe pas, pas plus que cette femme. Sauf dans le roman de Flaubert, évidemment. Pourtant, même si rien n’est vrai, et que tout lecteur le sait, chacun persiste à se passionner pour cette histoire – ou pour mille autres, plus fantastiques. D’épopées en sagas, de films en jeux vidéo, de séries télévisées en romans, nous ne cessons d’être enthousiasmés, captivés, émus, distraits, instruits, terrorisés ou apaisés par les aventures de personnages imaginaires.

Pourquoi ? D’où vient cette fascination addictive ? Peut-on en rendre compte et, si oui, par quelle méthode ? Telles sont les questions de fond posées par le premier travail, remarquable, d’un jeune chercheur au département d’études cognitives de l’Ecole normale supérieure, Edgar Dubourg, un nom à retenir. Car il ne se contente pas d’analyser le plaisir que nous prenons à nous immerger dans quantité de fictions diverses, mais se demande d’où a pu émerger, dans la longue histoire de notre espèce, cette capacité somme toute étrange.

Sa démarche s’inscrit dans le courant de la psychologie évolutive (ou évolutionniste), qui s’inspire de Darwin pour tenter méthodiquement de « naturaliser la culture ». Au lieu de considérer nos pratiques culturelles comme des exceptions propres à l’espèce humaine, il s’agit de les relier aux processus biologiques et neuronaux que la sélection naturelle a engendrés au fil des millénaires. En ce qui concerne le goût des fictions, cela n’a rien d’évident… C’est pourquoi la tentative est intéressante, d’autant plus que le jeune auteur de cette Histoire naturelle de la fiction se révèle à la fois fort savant et excellent pédagogue.

Informé de kyrielles de travaux scientifiques récents – la bibliographie du livre s’étend sur quarante pages –, Edgar Dubourg rappelle d’abord que notre capacité à distinguer réalité et fiction se manifeste très tôt. Les enfants, aux alentours de 18 mois, voient bien la différence. Plus jeunes encore, ils savent déjà s’orienter, pour être guidés, vers les personnes faisant preuve de plus de « compétence » et de « bienveillance », critères essentiels de la confiance.

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