Les Etats-Unis ne devraient pas avoir à se déchirer à propos de la présence d’un humoriste sur une chaîne de télévision. La mise à l’écart temporaire de l’animateur d’une émission de fin de soirée, Jimmy Kimmel, sur ABC, a suscité l’émoi parce qu’elle ne relève pas d’un banal conflit entre employeur et employé. Ce qui est en jeu, en effet, n’est rien de moins que le « free speech », la liberté d’expression protégée par le premier amendement de la Constitution.
La controverse était partie des propos tenus par Jimmy Kimmel, le 15 septembre, quelques jours après l’assassinat de l’influenceur conservateur Charlie Kirk. Dans son monologue d’ouverture quotidien, l’humoriste, qui tourne systématiquement en ridicule le président des Etats-Unis, Donald Trump, avait assuré : « Le gang MAGA [Make America Great Again] essaie désespérément de décrire le gamin qui a assassiné Charlie Kirk comme n’étant pas l’un des leurs et tente de faire tout ce qu’il faut pour en tirer un profit politique ».
L’annonce de sa suspension, deux jours plus tard, aurait pu relever d’une décision souveraine de la chaîne ABC pour sanctionner des propos jugés déplacés. Mais elle était intervenue juste après les menaces de représailles agitées par Brendan Carr, le président de la Commission fédérale des communications (FCC), qui règne sur les attributions d’autorisations à émettre.
Lorsqu’il avait été nommé à ce poste en novembre par Donald Trump, que les sarcasmes de l’animateur ont toujours excédé, Brendan Carr avait pourtant promis de « démanteler le cartel de la censure », imposé selon lui par les géants du numérique, pour « restaurer le droit à la liberté d’expression des Américains ».
Cette accusation de censure était récurrente dans les rangs conservateurs lorsque la liberté d’expression était remise en question, notamment dans les universités, pour empêcher des prises de parole jugées offensantes. A l’exception notable du sénateur du Texas Ted Cruz, peu de voix républicaines se sont pourtant élevées pour protester contre la mise à l’écart de l’humoriste.
Le retour à l’antenne de Jimmy Kimmel, mardi 23 septembre, n’est pas la preuve d’une défaite en rase campagne du président de la FCC. Deux influents groupes de chaînes de télévision locales, Nexstar et Sinclair, ce dernier connu pour promouvoir des positions conservatrices, ont en effet annoncé qu’elles ne diffuseraient plus cette émission, à la vive satisfaction de Brendan Carr.
Un mélange d’intérêts économiques et d’idéologie est à l’œuvre. Le groupe Nexstar a besoin en effet du feu vert du président de la FCC pour fusionner avec un autre conglomérat audiovisuel, Tegna. L’annonce par la chaîne CBS de la prochaine fin d’une autre émission, animée par un humoriste tout aussi impitoyable envers le président, Stephen Colbert, est intervenue alors que Paramount, propriétaire de sa chaîne, avait besoin de l’approbation de l’administration en place pour fusionner avec le studio de cinéma Skydance.
Il faut ajouter à ce climat les milliards de dollars réclamés par Donald Trump au Wall Street Journal et au New York Times dans des plaintes en diffamation, et le projet de confier un rôle stratégique au mastodonte Oracle, dirigé par un très proche du président, Larry Ellison, dans la reprise du réseau social chinois TikTok. Soit une accumulation sans précédent de menaces contre la liberté d’expression, alors que le républicain n’est de retour à la Maison Blanche que depuis huit mois.