C’est le propre des livres d’histoire que de vous faire voyager dans le temps. A ce titre, la nouvelle édition d’Histoire mondiale de la France (Seuil, 864 pages, 29,90 euros, à paraître le 10 octobre) emmène les lecteurs à la fois plus loin et plus près que lors de sa première parution, en 2017. L’ouvrage, qui propose de « déplacer », de « dépayser » et d’« élargir » l’histoire de la France en la regardant au prisme du monde, inclut de nouvelles dates. Il commence ainsi en 80 000 ans avant J.-C. pour la première entrée, dans laquelle la paléoanthropologue Isabelle Crevecœur nous accompagne sur la côte du Cotentin, en Dordogne et en Charente pour suivre les traces de groupes de néandertaliens nomades parfois enclins au cannibalisme. Et s’achève à 2024 pour la dernière, dans laquelle l’historienne Michelle Perrot dresse le bilan de cette année où les yeux du monde se sont braqués à trois reprises sur la France, lors des Jeux olympiques, du procès des viols de Mazan et de la réouverture de Notre-Dame.
La sortie de cette nouvelle édition a aussi pour effet de reléguer la date de sa première parution dans les annales de l’histoire – et offre à ceux qui s’en souviennent la possibilité de mesurer l’écart entre hier et aujourd’hui. En janvier 2017, la France, encore sous le choc de la succession d’attaques terroristes de 2015-2016, est en état d’urgence et aux prises avec ce qu’elle perçoit comme une « crise des migrants ». Dans le même temps, le récent vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni, la persistance de la crise de la dette publique grecque et la conjoncture économique morose mettent du plomb dans l’aile du projet européen. Dans ce contexte de vulnérabilité et de peur du déclin, où l’amalgame entre le terrorisme islamiste et tout ce qui vient de l’étranger tourne à plein, l’histoire de la France se trouve régulièrement convoquée par les promoteurs de l’« identité nationale » – une notion popularisée par Nicolas Sarkozy dix ans plus tôt, utilisée pour soutenir une myriade de discours et de politiques réactionnaires.
Ces usages politiques et médiatiques de l’histoire sont aux antipodes des pratiques de bon nombre d’historiennes et historiens d’alors. « Sur la scène historienne française, depuis les années 2000, les méthodes de l’histoire globale et de l’histoire connectée – consistant à envisager un objet en jouant sur les échelles et en prêtant une attention particulière aux circulations et aux phénomènes d’ouverture – étaient en train de renouveler les manières de faire, d’écrire, de penser l’histoire, se souvient Nicolas Delalande, l’un des coordinateurs de l’ouvrage. Nous avons donc eu envie d’envisager la question nationale par ce prisme, d’apporter ces nouveaux savoirs et ces nouveaux récits dans l’espace public. » Il s’agissait de donner à lire au plus grand nombre « une conception pluraliste de l’histoire contre l’étrécissement identitaire », écrit l’historien Patrick Boucheron, professeur au Collège de France et directeur de l’ouvrage, dans son « ouverture ».