Ces dernières années, la notion de saison a semblé de moins en moins intéresser les créateurs de mode. Sous l’effet conjugué du dérèglement climatique et du nomadisme de leur clientèle fortunée, ils se sont mis à décliner des gros pulls en été et des nuisettes pour l’hiver. Mais en mode, tout est affaire de cycles. Et pour cette fashion week printemps-été 2026, un certain nombre de designers ont conçu des collections vraiment estivales.
C’est le cas chez Loewe, qui faisait partie des shows les plus attendus de la saison. La griffe espagnole qui appartient à LVMH n’avait plus défilé depuis septembre 2024, quand Jonathan Anderson avait signé sa dernière collection pour la maison. En un peu plus d’une décennie, le Britannique (transféré depuis chez Dior) avait transformé le respectable maroquinier en une marque de mode des plus désirables – sans renoncer à la dimension artisanale.
« Jonathan a fait un boulot incroyable »,confirment Jack McCollough et Lazaro Hernandez, les nouveaux directeurs artistiques. Les deux Américains sont connus pour avoir fondé Proenza Schouler, un label au summum de la gloire dans les années 2000, qu’ils ont quitté en janvier 2025 avant de rejoindre Loewe deux mois plus tard. Même si Proenza Schouler est une marque moins commerciale que ses concurrentes de la fashion week new-yorkaise, l’arrivée d’Américains au sein de la vénérable maison madrilène a fait grincer des dents.
Vendredi 3 octobre, le duo a fait taire les critiques avec une collection vitaminée, résolument estivale, qui renouvelle l’esthétique de la marque sans rompre avec le passé. « Il y a deux principes fondamentaux chez Loewe : l’artisanat et l’Espagne, explique le tandem. Et l’Espagne, pour nous, ça veut dire de la sensualité, de la chaleur, de la générosité. »
Les mannequins arrivent torse nu, la poitrine cachée par les manches d’un polo en soie et en cachemire nonchalamment posé sur les épaules, vêtues d’un pantalon composé de milliers de minuscules lamelles de cuir qui, de loin, se confond presque avec une toison. Les robes courtes, taillées dans un cuir brillant et rigide et aux coutures invisibles, ressemblent à des moulages et font un habile clin d’œil aux constructions sculpturales de Jonathan Anderson.
Le cuir souple d’une minirobe semble décoloré par le soleil, le Nylon d’un bomber ondule sous l’effet des fils de métal cousus dans le tissu. Une robe bustier ressemble à une serviette de plage duveteuse ; une autre, à rayures, à un paréo structuré. Avec leurs chaussures pointues en plastique transparent et leurs casquettes colorées sur la tête, les femmes sont assez élégantes pour la ville, mais aussi parées pour la plage.
« A l’ADN de Loewe, nous greffons notre histoire personnelle d’Américains de la Côte est », détaillent Jack McCollough et Lazaro Hernandez, qui apportent à Loewe une vision plus sportive et pragmatique qu’auparavant. Leur touche américaine, c’est aussi la référence au peintre Ellsworth Kelly (1923-2015), qui leur inspire des couleurs tranchées et unies déployées sur de larges surfaces. Les invités sont d’ailleurs accueillis par un tableau du maître américain, Panneau jaune avec courbe rouge (1989) – prêt d’un ami des designers, qui ont, en plus de très bonnes idées, des proches dévoués. Lorsqu’ils sont venus saluer à la fin du défilé, toute la salle s’est levée.
Chez Givenchy, Sarah Burton aussi possède son fan-club, présent dans la salle et sur le podium : sa cabine compte un certain nombre de mannequins qui ne défilent presque plus, mais qui, par amitié pour la designer (et moyennant rémunération), acceptent de refaire un tour de piste – c’est le cas des top models Vittoria Ceretti, Kaia Gerber ou Adut Akech. Si la Britannique attire autant la sympathie de celles qui portent ses vêtements, c’est qu’elle imagine un vestiaire au service du corps féminin. « Je voulais explorer une féminité puissante, mais sans avoir recours à des archétypes masculins : ne pas faire des vestes à grosses épaules, mais, au contraire, me servir de robes, de blouses, de soutiens-gorge ou de bijoux pour l’exprimer », explique la créatrice.
Le résultat donne une coloration très estivale à la collection, car la plupart des silhouettes sont pensées pour révéler la peau. Les soutiens-gorge font office de hauts, associés à une jupe en cuir drapée ou sous un costume près du corps. On les devine aussi sous les trenchs et les chemises au col élargi dégageant les épaules. Les gracieuses robes sont constituées de voiles de tulle ou taillées dans de la dentelle, laissant entrevoir les tétons ou la culotte. Les maillots de bain sont élevés au rang de tenues du soir, brodés de perles ou couverts d’un plastron bijou. « J’ai vraiment déstructuré et désossé le vêtement au maximum pour apporter un sentiment de légèreté et d’aisance », affirme Sarah Burton, qui, dans un univers largement dominé par des designers masculins, impose une vision de la mode singulière et séduisante.
La nouvelle collection d’Isabel Marant propulse son public dans des contrées arides. L’héroïne se veut une voyageuse en sac à dos qui n’a peur de rien. Elle enfile pantalons cargo, vestes militaires, shorts mini ou bottes en suède et se trimballe avec sa couverture sanglée. « J’ai voulu raconter le voyage d’une fille forte, seule, dans le désert, avec des vêtements blanchis par le soleil, ensablés, poussiéreux, un peu à la Mad Max. Une femme bien dans sa vie et enrichie par ses périples », revendique la directrice artistique Kim Bekker.
Celle qui secondait Isabel Marant à la création depuis 2021 a salué, pour la première fois, sans la fondatrice. « Isabel reste dans l’entreprise, continue à travailler sur l’image et les boutiques, et je lui demande toujours son opinion, précise Kim Bekker. Nous voulions une passation en douceur, en faire un non-sujet. » Le show a les airs d’une démonstration maîtrisée. Mais maintenant que la designer a domestiqué la formule de la griffe, gageons qu’elle saura à l’avenir, pour lui offrir de l’élan, apporter une patte personnelle plus affirmée.